Alors que quelques grands noms du cinéma, comme Beineix ou Lelouch n’ont pas obtenu le succès escompté dans la bande dessinée, Vincent Perez s’en sort fort bien. Pourtant, qui aurait cru que ce beau gosse, acteur et réalisateur, pourrait prendre la plume pour inventer des contes remplis d’imaginaire, d’humour et de magie ?
Avant de s’attarder sur la trilogie qui s"achève dans le tome 4 qui vient de sortir en librairie, intéressons-nous à la genèse de cette entrée peu commune dans le neuvième art, età la façon dont elle est perçue de l’extérieur. Surtout que la Forêt n’était à la base qu’un one-shot un peu fou, écrit par un acteur-réalisateur qui ne connaissait rien à la bande dessinée…
Votre ouverture vers la voie artistique se serait réalisée dans un camp de dessin, étant enfant ?
Plus particulièrement, il s’agit de ma rencontre avec un peintre, Pierre Gisling, qui avait créé ce camp de dessin, lorsque j’avais onze-douze ans. Mon père dessinant, c’est une activité que je pratiquais depuis tout petit, mais la fréquentation de ce camp pendant plus de cinq ans m’a ouvert les yeux, car Gesling m’a appris que je pouvais faire ce que je voulais de ma vie. Cela m’a sauvé, car je serais sans doute devenu fou dans une autre carrière non artistique, et ces révélations m’ont permis de me construire tout en me donnant la force de croire en ce que je voulais faire. Et c’est dans cette force que j’ai également puisé lorsque je me suis dit que je voulais faire du scénario de bande dessinée : il n’est jamais trop tard pour vouloir se lancer ! C’est également pour cela que je me suis remis professionnellement à la photographie. Autour de moi, on s’étonne que j’arrive à me mettre ainsi en danger, mais ce n’est pas le cas ! Cela me permet de respirer, au sens propre ! Bien entendu, cela me demande de revenir aux bases et de vouloir apprendre, sans nullement croire que je puisse le faire mieux qu’un autre, mais j’ai envie d’essayer !
Vous êtes un acteur réputé, doublé d’un réalisateur. Comment cette idée d’écrire pour la bande dessinée vous est-elle venue ?
Je lisais beaucoup de contes à mes enfants, tout en analysant la psychanalyse des contes de fées. Puis, je me suis rendu compte que les histoires les plus intéressantes, pour lesquelles ma fille vibrait le plus, étaient celles que j’inventais. À force de lire au sujet des contes, je me suis aperçu que chaque personne qui en écrit y glisse une part de soi, résolvant des questions qu’il ou elle porte en elle. Conséquence selon moi : on a tous un conte au fond de soi, et il faut juste parvenir de l’exprimer. J’ai donc commencé à écrire ce récit sous forme d’un scénario de film, milieu où je suis le plus à l’aise, tout en sachant qu’il serait irréalisable vu les moyens colossaux qu’il engloutirait. Mais cela ne m’a pas arrêté, car je voulais aller au bout de ce récit personnel. Après une année d’écriture, le texte faisait 130 pages.
Pourquoi vous tourner alors vers la bande dessinée, et vers Tiburce Oger en particulier ?
En écrivant mon premier texte, j’avais pris des images à gauche et à droite pour alimenter mon imaginaire, me constituant un petit ‘book’. Et une de mes références était une case de Tiburce. Un an et demi plus tard, à un dîner, je parlais de mon projet à des connaissances, qui m’ont conseillé de contacter Louis Delas de Casterman. Tout d’abord, il a accueilli l’idée avec précaution, car ce cross-over cinéma-bande dessinée est assez particulier, mais la lecture de mon scénario l’a séduit et il m’a parlé du travail de Tiburce. J’ai bien entendu reconnu le style de la case de mon ‘book’ et j’ai pris cela comme un signe. Je lui ai alors envoyé mon texte, et la magie a fonctionné. Je l’ai laissais élaguer mon récit pour rentrer dans les 86 planches de bande dessinée. Finalement, je connaissais peu de choses de la bande dessinée moderne.
Quelles étaient justement vos lectures en bande dessinée ?
Quand j’étais môme, je ne lisais que cela ! Astérix, Lucky Luke, mais un peu moins Tintin, car j’aimais surtout les personnages semi-réalistes, et qui jouaient sur le burlesque. C’est sur ces références-là que je m’exprime dans La Forêt.
Cela se ressent à la lecture de vos albums : vos sorcières, même maléfiques, sont plus comiques qu’effrayantes.
Effectivement, je préfère qu’on rigole, même si certaines parties sont également plus tristes. Je n’essaye pas volontairement de mélanger les genres, mais je décris la vie de ces personnages comme je le ressens. Je pense que cela leur donne un aspect plus attachant. Sans être orgueilleux, c’est plutôt mon genre à moi, car lorsque je vois l’album au milieu des autres, j’ai l’impression que c’est un OVNI. Heureusement, je m’appuie sur le talent de Tiburce, qui parvient à retranscrire ce que j’écris. La seule chose que je discute avec lui, c’est le ‘casting’, donc les personnages. Sinon il est le réalisateur, le metteur en scène, je ne suis que le scénariste.
Si vous ne donnez aucune indication au découpage, on voit que Tiburce Oger en profite avec de grandes cases pleine page.
J’avais tout de même demandé que l’album puisse de temps en temps respirer avec ces grandes cases, car le récit est fort dense. Cela permet aussi de prendre du recul, et de profiter de l’image. Le claustrophobe que je suis respire alors un peu !
Le cinéma et la télévision ont pris de grandes places dans votre vie. C’est tout de même une surprise de retrouver un acteur et réalisateur, occupé comme vous pouvez l’être, faire de la bande dessinée.
Je pense que je suis allé vers la bande dessinée de manière un peu inconsciente, ne connaissant pas du tout le milieu, ni ses règles. Mais petit, je dessinais beaucoup, et je croyais que je l’allais devenir peintre, le dessin était le moteur de mon enfance. C’était également le cas de mon père, qui avait réalisé des planches dans les années cinquante. Même si c’était une thématique de guerre avec des porte-avions, j’avais une attirance pour ce qu’il réalisait à l’encre de chine. La bande dessinée est donc peut-être un héritage inconscient de mon enfance.
Quel est le regard que vous portez sur les autres auteurs ?
Lors de la sortie du premier tome, je me suis rendu compte que la bande dessinée était un monde très fermé, comme peut l’être le cinéma, qu’elle avait ses règles propres. Puis petit-à-petit, j’ai appris, avec plaisir. Ainsi, j’ai participé à un jury constitué de très grands auteurs comme Jean Van Hamme. Si j’étais fort impressionné au début, car je maitrisais bien moins bien les codes que ces grands personnages, mais je me suis acclimaté en étant au milieu d’eux. Ce sont des hommes comme moi, sauf qu’il y a des maîtres et des petits élèves qui débutaient ! (rires) C’est d’ailleurs ce qui me fascine avec les scénaristes de bande dessinée : ils peuvent inventer ce qu’ils veulent ! Il n’y a pas de restriction budgétaire, ce qui le réel poison du cinéma, même si ces contraintes guident la création d’un autre côté.
D’où vient ce titre La Forêt et ce regard que vous lui portez ?
Dans la campagne suisse, où je suis né et j’ai grandi, je devais traverser de grandes forêts, et parfois, on se fait rattraper par la nuit, et je me suis fait de belles frayeurs ! D’un autre côté, j’ai aussi beaucoup vécu dans les arbres, me prenant pour Tarzan. La forêt symbolise donc la vie, avec ses mystères, ses peurs, ses créatures et ses menaces.
Est-ce que vous étiez content de l’accueil du premier livre, qui s’est plutôt bien vendu ?
Tout au contraire, j’ai été terrassé ! Au début, on me parlait de 25.000 exemplaires vendus, je trouvais ça nul, me disant que c’était un chiffre horrible ! Puis, je me suis rendu compte que ce n’était pas vraiment les mêmes ordres de grandeurs qu’au cinéma ! (rires) Mais c’est logique, car un film coûte plus, et qu’il faut plus de rentrées pour le rentabiliser. En réalité, la mise en place était de cinq mille, puis il y a eu beaucoup de réassort, car ils ne s’attendaient pas à ce que cela marche aussi bien. Puis la mise en place du deuxième tome est plus importante : trente mille.
Je suppose qu’il y a une grande différence lorsque vous devez présenter un film et un album ?
Il y a surtout beaucoup de moins de pressions, car moins d’enjeux financiers. Un film devient presque une machine de guerre car il faut absolument que cela marche. Si un album se plante, c’est fort dommage, mais l’éditeur misera sur d’autres, mais un film qui ‘coule’ peut tuer un producteur. Puis, ce n’est bien entendu pas le même rythme de travail. Je trouve donc très agréable d’avoir ses moments loin des enjeux habituels. Je suis seul devant ma page, tout simplement.
Quelles sont vos lectures actuelles ?
Après mes premiers contacts avec Louis Delas, j’ai voulu me renseigner sur la bande dessinée moderne. J’ai rencontré des dessinateurs et scénaristes qui ont leur propre monde, intègre, et se foutent de le faire absolument coïncider avec la norme, comme Joann Sfar par exemple. D’un autre côté, j’ai adoré le Grand Pouvoir du Chninkel, pour sa formidable construction.
La bande dessinée n’a pas encore le public étendu du cinéma, surtout parce qu’elle est encore mal considérée par ceux qui ne la connaissent pas …
Tout-à-fait ! À Paris, on se rend compte que la bande dessinée est encore fort mise de côté. Lorsque je fais la promotion de mes albums, j’ai aussi envie d’en être le porte-parole en expliquant quels mondes géniaux cela peut ouvrir. Je trouve que sectoriser rend les gens bêtes, il faut s’ouvrir et essayer avant de dénigrer. Mise à part la presse spécialisée, les autres médias parlent peu ou pas de bande dessinée et c’est dommage. J’ai d’ailleurs été très touché que Claire Chazal ait présenté notre album au journal de 13h. Bien entendu, c’est parfois étrange de défendre nos récits à côté de compositeurs de musique ou de metteurs en scène, mais en même temps, j’aime assez bien cela.
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire notre chronique du premier tome de la Forêt et notre article Un regard neuf sur le Moyen-âge
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Toutes les photos, y compris le médaillon, sont © CL Detournay.
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