En huit tomes, vous êtes parvenu à vous hisser au top des séries jeunesses en totalisant déjà deux millions d’albums vendus. À quoi attribuez-vous ce succès ?
Le fait que Toto soit indiqué sur la couverture a permis que des enfants s’y intéressent de prime abord, sans en connaître le contenu. Bien sûr, ce n’était que la porte d’entrée, et si j’ai eu la chance que cela se soit concrétisé sur le long terme, c’est que l’univers que j’ai proposé a plu aux gamins. Il y a sans doute d’autres facteurs, comme le fait que Delcourt a directement soutenu la série, que cela soit en termes de communication ou de publicité.
C’est d’ailleurs Guy Delcourt lui-même qui vous a proposé cette thématique des Blagues de Toto ?
Tout-à-fait, c’était l’idée de Guy, car il désirait rebondir sur le travail que j’avais effectué sur Spirou. Mis à part ce concept de lancement, il m’a laissé carte blanche, sans me donner aucune indication sur l’univers et les personnages que j’ai développés seul. Quant à la recette du succès, j’en parlais encore avec mon éditeur : elle n’existe pas. Cela dépend du moment où vous proposez une thématique et des personnages accrocheurs. C’est vrai que mon graphisme a priori simple me permet aussi de toucher un large public. C’est de toute façon la concordance de différents éléments.
Vous parlez d’un graphisme léger, mais vous soignez vos arrière-plans. À un tel point qu’il y a parfois une deuxième histoire qui s’y déroule ?
Je réponds d’abord à un plaisir personnel de donner beaucoup de détails, même si on me reproche parfois mes décors trop chargés. Puis je veux être certain d’avoir donné assez au lecteur, pour qu’il soit rassasié à la fin de l’album. Quand on voit les scènes de cour de récréation, ou de classe, j’ai beaucoup de plaisir à dessiner l’un qui joue avec son stylo-bille, l’autre qui met son doigt dans son nez, un troisième qui applaudit ou rigole, etc. Par rapport à mon trait relativement sage, je désire m’assurer que mon évocation soit la plus vivante possible. Enfin, je me dis que si l’enfant a lu le gag en moins d’une minute, il prendre plaisir à une seconde lecture en profitant de ces petits détails insolites. D’ailleurs, j’entends souvent les parents en dédicaces m’expliquer que les enfants ont appris les gags par cœur et les ressortent sous forme de blague, que cela soit dans la voiture ou ailleurs.
Concernant l’écriture, vous étiez parti de quelques histoires bien connues avant d’en inventer vous-mêmes ?
Au début, j’avais donc regardé les blagues qui existaient sur Toto, ou concernaient l’enfance plus globalement. Puis, j’en ai modifié pas mal, afin que cela colle au langage spécifique de la bande dessinée. Il ne faut pas oublier que j’ai aussi été instituteur et que je me nourris de cette expérience pour inventer de nouvelles histoires dans le canevas des précédentes. Enfin, mes enfants sont également sources de réflexion, ce qui me permet d’embrayer vers une nouvelle thématique.
Ce qui n’est pas facile, c’est que vous devez respecter une chute presque à l’identique, à savoir une dernière réflexion de Toto, et la gêne, voire le désarroi, de l’assistance !
C’est très souvent cela ! Afficher le dépit des protagonistes après la phrase percutante de Toto. J’essaye doucement de changer cet équilibre. Par exemple, dans ce dernier tome, c’est une réflexion du Père Noël qui déstabilise Toto. Je veux travailler à cette diversification des mécanismes du gag, tout en maintenant une cohérence dans la série. Quoiqu’il en soit, je soumets mon scénario à mon éditeur, Thierry Joor, afin de profiter de sa prise de recul. Cela implique rarement une remise en cause. Il n’y a presque que pour le choix de la couverture que nous travaillons en équipe afin de trouver la meilleure idée qui soit : drôle, percutante tout en ouvrant au thème abordé dans l’album et en permettant d’identifier rapidement les personnages. En plus, il faut que cela soit muet dans ce seul dessin : pas toujours facile ! Concernant le titre de ce huitième tome, c’est mon fils qui me l’a soufflé, preuve que toutes les idées sont bonnes à prendre !
Sur ce tome 8, on se concentre plus spécialement sur la visite médicale. Des souvenirs traumatisés du professeur que vous étiez ?
Pas spécialement ! (rires) Plutôt un thème porteur que je voulais aborder un jour ou l’autre. Puis cela fait partie du quotidien de chaque enfant. Cela peut être provocateur de stress ou d’amusement pour la classe. Il fallait aussi pouvoir les tenir, car il y a toujours l’un ou l’autre qui trouve drôle de se balader en caleçon au milieu de la pièce. Je me suis dit que cela pouvait donc être un moyen pour les enfants inquiets (dont je faisais partie) de dédramatiser la situation en la tournant en dérision.
Pour revenir à vos arrière-plans, vous placez deux hommages marquants dans ce huitième tome…
Oui, ma première pensée est bien entendu pour André Geerts, et j’ai imaginé Jojo, P’tit Louis et les autres en train de le pleurer sur un banc de la cour de récréation. Sa disparition m’a beaucoup touché, car la première personne avec qui j’ai travaillé quand j’ai débuté en tant qu’enseignant fut la sœur d’André. J’avais donc noué un contact privilégié avant de le rencontrer personnellement et professionnellement bien plus tard. Il m’avait d’ailleurs contacté lors d’Un coup de crayon pour Haïti et m’avait félicité de cette action, ce qui m’avait beaucoup touché. J’ai donc voulu lui rendre hommage directement dans l’album, à la hauteur de son travail.
Puis un autre renvoi vers Boule et Bill, en dernière planche !
Oui, car Roba est également un grand maître pour moi. Lorsque j’ai des soucis sur une représentation ou l’autre, je me replonge dans ses albums, louant sa dextérité. En vérité, je trouvais rigolo de faire un lien avec son tome 10 Attention chien marrant, en imaginant qu’ils évoluent dans la même ville que Toto (ou vice-versa), et qu’il y a peut-être un autre gag qui se déroule de la vue avoisinante.
Même si cela ne saute pas directement à l’œil, il y a une construction générale sur chaque album ?
Je construis effectivement chaque tome comme une année scolaire à part entière : avec la rentrée, les saisons qui défilent, puis les grandes vacances. Bien entendu, je mets l’accent sur la thématique abordée plus spécifiquement, mais je sais que le récit du carnet de note interviendra avant celui du Père Noël, etc. Bien sûr, j’organise aussi le chemin de fer final en regardant les couleurs des gags ou les lieux généraux, afin de donner une cohérence générale à l’ensemble.
On voit que vous désirez donner plus d’importance aux rôles secondaires ?
C’est le dessin animé qui m’a poussé à réaliser ce travail. Bien entendu, dans les récits des dessins animés, on a plus de temps pour donner de l’importance à Igor ou Yacine, tandis que dans mes gags, je dois laisser Toto en personnage principal. Mais je peux tout de même parfois mettre l’importance sur l’un ou l’autre, par exemple en évoquant leur rêve ou leur quotidien avant que Toto ne dévoile le sien. Certains gags s’y prêtent mieux que d’autres. Le dessin animé m’a également permis d’ouvrir de nouvelles voies de décor ou de thématique. J’ai aussi volontairement modifié quelques lieux pour donner une cohérence avec ce que les enfants verront à la télévision.
Vous lancez vous dans d’autres travaux, excepté les albums de Toto ?
Je suis déjà ravi de faire partie des auteurs qui peuvent vivre de leur travail. Je réalise une série que j’aime et pour laquelle je prends du plaisir. J’ai bien entendu d’autres envies, mais cela viendra en son temps. Sinon, j’ai pris de petites vacances en réalisant de grandes illustrations pour Albin Michel, à la « Où est Charlie ? ». J’ai beaucoup travaillé sur ces dix grands dessins, ce qui m’a tout de même pris cinq mois, un temps pour lequel l’album en lui-même n’avance plus. Cette expérience m’a permis de retrouver un plaisir des petits détails d’arrière-plans pour éviter toute lassitude sur le gag. Je pense que cette jubilation se retrouve directement dans ce tome 8.
Peut-on déjà avoir une idée du thème de votre prochain album ?
Après réflexion, je pense que je vais envoyer Toto au ski. La classe de neige est un grand classique, mais c’est aussi un vivier formidable de gags. Du plaisir en perspective !
(par Charles-Louis Detournay)
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