Comment avez-vous eu l’idée de vous intéresser au sujet des sentiments amoureux entre personnes âgées ?
C’est le sujet qui est venu à moi ! J’exposais les planches d’un précédent album Au coin d’une ride dans une bibliothèque de ma région, et à cette occasion la directrice de l’EHPAD de Saujon, (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) est venue me proposer d’animer des ateliers BD pour personnes âgées. Le projet d’album est né lors de ces ateliers.
Les personnes âgées vous ont insufflé la thématique ?
En fait, ce livre est né d’une envie et d’une impossibilité. Je m’explique : lors de mes ateliers BD, en collaboration avec une psychologue et une animatrice, je me suis retrouvé en charge d’un groupe d’une dizaine de résidents dont l’âge variait de 75 à 95 ans et plus. Tous avaient très envie de raconter une histoire et ils voulaient surtout parler des sentiments amoureux. En revanche, je me suis très vite aperçu qu’il n’était pas forcément facile de faire dessiner des planches de BD à des personnes âgées, en tout cas pas comme dans un atelier pour enfants. La plupart des adultes qui touchent à un art pour la première fois sont inhibés et peuvent éprouver de la frustration, alors que les enfants se lâchent sans chercher à intellectualiser leur démarche.
Au retour de cette première journée d’atelier, je me suis dit que le sujet était intéressant, mais qu’il fallait l’aborder d’une autre manière. J’ai alors proposé au groupe de résidents de travailler le scénario sous la forme d’un groupe de paroles. Ensuite, chez moi, je reprenais toutes mes notes et écrivais le scénario de la première scène. La semaine suivante, j’y retournais pour leur lire ce que j’avais écrit et si la scène était validée par tout le monde, on passait à la suivante. Et voilà, la dynamique était en place.
Comme si vous alliez régulièrement à la conférence de rédaction d’un journal ?
Oui un peu. Par exemple pour la création des personnages, leurs caractères, d’où ils viennent, leurs histoires personnelles, cela s’est fait en groupe. Ensuite, pour le dessin, je travaillais chez moi en fonction de qui avait été dit, j’ébauchais un personnage et puis je retournais vers le groupe, je leur montrais et je retravaillais une coiffure par ci, un costume par là. Le personnage de Colette, par exemple, je ne l’aurais pas vu comme ça au départ, mais en finalité, grâce à ce travail de groupe, elle est beaucoup plus proche de la réalité et je l’aime bien graphiquement.
Au fond, vous étiez en immersion dans la documentation de votre sujet, ce qui explique sans doute la justesse de votre récit...
À chaque rendez-vous d’atelier, j’étais étonné de retrouver les mêmes résidents qui étaient là pour continuer l’histoire et, pour ma part, j’étais impatient qu’ils lisent les séquences que j’avais ébauchées à partir de nos conversations. Sur place, des détails authentiques venaient enrichir le propos de façon poétique, humoristique ou très réaliste. Ils ont été mes guides.
Question décors, j’avais également tout sous la main, chambre individuelle, réfectoire, salon, ainsi que toute la vie d’une résidence et de son personnel. Par exemple, un détail m’avait frappé lorsque je visitais des chambres individuelles moderne et épurée, je trouvais très souvent de gros meubles un peu lourds et surdimensionnés, témoins d’une vie en d’autres lieux. C’est un détail qu’on ne dessinerait pas sans l’avoir observé.
Dans votre histoire, vous insistez sur le fait que la personne âgée sacrifie son autonomie de vie mais aussi sa responsabilité ?
Oui, c’est souvent le cas pour les personnes en résidence : la prise en charge totale de leur existence les déresponsabilise peu à peu. Par ailleurs, le plus souvent il faut passer par les enfants pour obtenir le moindre accord, on assiste à une inversion des rôles, certains enfants deviennent les parents de leurs parents. Enfant, je me souviens que ma grand-mère vivait avec sa mère très âgée, elle l’avait pris à son domicile, ça lui semblait normal. Je me demande si beaucoup de familles seraient encore capables de faire ça à l’heure actuelle...
Dans votre album, vous montrez un personnel soignant parfois indifférent, voire moqueur. Est- ce une réalité ?
Il n’y a aucune volonté de ma part de faire des généralités ou de jeter la pierre à qui que ce soit, mais le fait est que j’ai été témoin de certains comportements et que ce sont des choses qui revenaient dans nos conversations. Ce sont les résidents qui décidaient de quoi parler et tant pis si cela pouvait déranger le personnel. Par ailleurs, certaines EHPAD ont malheureusement défrayé la rubrique des faits divers et renvoyé une image du secteur très négative.
Avez-vous une explication à ces dérives ?
Non, je peux juste parler de ce que je connais car ma compagne est ergothérapeute en maison de repos. Je crois qu’une des causes de la baisse de qualité des soins à la personne provient d’un manque de personnel et de surcharges de travail. On leur en demande toujours plus avec moins de moyens, ce qui n’est pas tenable. La qualité de vie dans un établissement dépend énormément de la qualité des équipes en place. Quand on leur laisse du temps pour faire leur travail, tout va pour le mieux.
Durant trois mois, vos planches originales font l’objet d’une exposition à la maison de repos et soins "Les Pléiades" à Woluwe-Saint-Lambert (Bruxelles), que pensez-vous de cette mise en abyme ?
Je suis très content de pouvoir exposer mon travail, c’est d’ailleurs lors d’une exposition de ce genre que cet ouvrage avait commencé à voir le jour. J’aime faire entrer la bande dessinée dans des lieux où on ne l’attend pas.
Quels sont vos projets futurs ?
Je travaille sur un nouvel album avec une scénariste cette-fois, qui est également journaliste. Il s’agira de raconter l’histoire vraie d’une adolescente juive en 1940- 1945. La sortie est prévue pour le printemps de l’année prochaine, toujours aux Éditions des ronds dans l’O.
Les planches de "L’amour n’a pas d’âge" font l’objet d’une exposition à la maison de repos et de soins "Les Pléiades" à Woluwe-Saint-Lambert. Rencontre avec Steve Piraux, le directeur de la résidence à l’origine de cette initiative originale.
Pourriez-vous nous parler de votre idée d’exposer de la bande dessinée dans une résidence pour personnes âgées ?
En tant que directeur de maison de repos, j’ai pour mission de varier les activités de nos résidents et amener la culture dans la maison de repos en fait partie. Si quelques résidents ont accès à des activités culturelles à l’extérieur de notre établissement, ce n’est pas le cas pour la majorité d’entre eux. C’est donc primordial que la culture parvienne jusqu’à ceux qui ne peuvent pas se déplacer.
Comment les résidents perçoivent-ils un art comme la bande dessinée ?
La maison de repos telle que je la conçois est avant tout une maison intergénérationnelle. Chacun doit s’y sentir bien, les résidents en priorité, mais aussi les familles (enfants, petits-enfants ou arrière-petits-enfants). L’avantage de la bande dessinée est d’être un média culturel qui plaît à l’ensemble de ces publics.
Vous m’avez dit avoir une activité de scénariste ?
Une activité, c’est vraiment beaucoup dire, j’ai "commis" cinq scénarios pour la série Game Over de Midam, ainsi qu’une participation à une double page dans le dernier Kid Paddle. J’ai également écrit un scénario historique relatant la vie d’un célèbre mentaliste au début du siècle dernier, mais celui-ci n’a pas encore trouvé son éditeur.
Depuis mon enfance, j’ai baigné dans l’ambiance de la bande dessinée et j’ai toujours été un grand lecteur. Faire du scénario de bande dessinée m’intéressait au plus haut point. Entretemps, mes activités de directeur ne me laissent plus beaucoup de temps, mais la passion reste et j’aime la partager, notamment en invitant des auteurs à exposer leurs planches dans mon établissement.
Propos recueillis par Stéphane Goblet.
(par Stéphane Goblet)
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Les planches originales de " L’amour n’a pas d’âge" font l’objet d’une exposition jusqu’au 04 octobre 2019 à la maison de repos et de soins Les Pléiades, avenue des Pléiades 19 à Woluwe-Saint-Lambert (1200 Bruxelles).
L’exposition est gratuite et accessible au grand public tous les jours de 9h à 17h, jusqu’au 04 octobre 2019. Il suffit de se présenter dans notre hall d’accueil. Des albums y sont également proposés à la vente.
Nous organisons également un concours, plus d’infos via ce lien facebook
Crédits photos : Alison Jadot, Lisa Wilmot et Steve Piraux.
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