Tetsuya Tsutsui est presque un auteur maison pour les éditions Ki-Oon chez qui il a publié tous ses mangas. Attaché depuis 2004 à la maison d’édition française, il publie cette année Prophecy dans une veine semblable à ses précédentes réussites, Duds Hunt, Reset et Manhole. Ce projet a été développé directement entre l’auteur et la France sans passer par les grands éditeurs japonais.
Reprenant les trames fondamentales de ses précédents mangas : l’injustice sociale et l’omniprésence technologique, le mangaka nous décrit la révolte d’hommes face à l’humiliation des sans-grades, des oubliés. Ce super-héros des temps moderne aux méthodes archaïques et hyper-sophistiquées, la batte de base-ball et les nouvelles technologies, va devenir un vengeur masqué dirigé sur ses proies par les internautes qui le suivent.
Pourquoi publier directement Prophecy en France chez Ki-Oon ?
Entre les éditions Ki-Oon et moi, c’est une longue histoire. Tout a commencé il y a déjà plusieurs années avec le manga Duds Hunt publié pour la première fois en France avant même d’être publié au Japon. C’est ainsi qu’a commencé cette histoire avec les éditions Ki-Oon. Donc, c’est tout naturellement que les mangas que je publie en France le soient chez Ki-Oon. Mais en ce qui concerne Prophecy, c’est un projet développé particulièrement avec et pour Ki-Oon. En effet, les édtions Ki-Oon m’ont contacté en me disant qu’ils avaient très envie d’éditer un manga original avec moi et comme j’étais sur un nouveau projet et bien, j’ai dit OK ! Et voilà s’est ainsi qu’a débuté cette nouvelle histoire.
Comment Ki-Oon vous avait découvert en 2004 avec Duds Hunt ?
En 2004, je n’avais pas encore publié un seul manga au Japon en volume relié mais j’avais publié Duds Hunt sur mon propre site. Il y a un site internet japonais qui fait le classement de tous les web-mangas. Duds Hunt faisait partie des plus populaires et je pense que c’est ainsi que Ahmed Agne, ici à mes côtés, qui est un des fondateurs de la maison, a repéré mon manga. Il m’a envoyé un mail pour me dire tout simplement qu’il avait très envie de publier Duds Hunt en volume relié en France.
Ahmed Agne : Internet est effectivement un outil qu’on utilise très souvent pour repérer de jeunes auteurs.
Hormis votre exemple, quel impact pensez-vous que peuvent avoir les nouvelles technologies dans la diffusion des mangas de nouveaux auteurs ?
À l’époque lorsque j’ai publié Duds Hunt sur mon propre site Internet, il y avait encore très peu de jeunes mangakas qui avaient l’idée d’y publier leurs mangas. Je faisais partie des premiers et donc j’ai été repéré assez vite, mais aujourd’hui beaucoup de mangakas font ça ; c’est donc un peu difficile de sortir du lot. Alors, je souhaite beaucoup de courage aux jeunes arrivants, l’important c’est de toujours garder intacte sa personnalité.
Vous dépeignez dans vos mangas un Japon malade : de son économie, de sa technologie voire de sa politique et de sa justice. Vous servez-vous d’une certaine sorte de révolte personnelle pour créer vos histoire ?
En français : « Je crois que oui. » (rire)
Vous vous attachez à des personnages qui sont des victimes même si certains essaient de se révolter. Pourquoi s’intéresser à des personnages de « losers » alors que la société s’attache plutôt aux gens qui réussissent ?
Je suis un fervent lecteur de Dostoïevski, et notamment j’adore son livre Crime et Châtiment dans lequel les personnages principaux sont tous des déclassés, des moins-que-rien. C’est vrai qu’ils ne sont pas beaux, ils sont assez horribles, ce ne sont pas du tout des « winners » mais ils ont une certaine personnalité. Ils sont beaucoup plus intéressants que ceux qui réussissent tout et c’est pour ça que je pense que le fait de décrire ces gens-là, ces déclassés, ça donne beaucoup plus de force et de passion à mes mangas que de décrire la vie des gens pour qui tout va bien. C’est vrai que le manga est moins propre, que l’univers dans lequel baigne mes personnages est moins joli, mais il y a beaucoup de choses pas jolies à voir.
Dans vos mangas, Prophecy, Reset, Duds Hunt, vous faites une sorte de chronique de l’échec de l’intégration sociale de la jeune génération, celle qui est arrivé après le boom économique japonais des années 1990. Quelle analyse faites-vous de la non-insertion des jeunes dans la société japonaise, de ce presque rejet ?
Il y a tout d’abord un calcul tout à fait mathématique, tout à fait logique : À cause du marasme économique, il y a moins d’emploi, donc il y aura forcément toujours des gens qui ne trouveront pas leur place dans la société. Mais plus que ce calcul purement économique, cette comptabilité, je pense qu’à cause des hommes politiques, du personnel politique japonais qui est assez affligeant qualitativement, les jeunes n’arrivent pas à voir l’avenir avec optimisme. Ils perdent espoir dans l’avenir du Japon.
On ressent justement dans vos mangas une sorte d’engagement politique, en avez-vous un au Japon ?
Je n’ai pas d’engagement politique au Japon. Et d’ailleurs, je tiens avant tout à ma liberté, à mon indépendance, donc je ne veux pas me lier à un parti politique ou à un groupe d’opinion. Je voudrais toujours être dans une position qui me permet de regarder les choses avec objectivité.
Vos mangas font la part belle aux nouvelles technologies. Les gens sont toujours connectés, ils ont toujours un lien et pourtant on ressent chez à peu près tous vos personnages, policiers ou sociopathes, une grande souffrance due à une grande solitude, pourquoi mettre cela en avant ?
En fait, ce n’est pas sciemment que j’ai voulu mettre en avant le thème de la solitude, mais c’est vrai que mes personnages sont souvent de grands solitaires. Pour en revenir à la thématique de l’Internet,c’est vrai que c’est un outil qui semble rapprocher les êtres mais quand on y regarde de plus près, il ne s’agit pas d’un vrai lien entre les gens. Il ne s’agit pas de communication véritable parce que sur Internet, sur les réseaux sociaux, on a une vision très manichéenne des gens. Soit vous voulez que les autres ne voient que les choses positives de vous donc vous ne mettez que les informations qui vous arrangent, ce n’est donc pas vraiment une information, ni un échange, ça n’apporte pas grand chose. Les gens qui réagissent à ces informations, qui partagent, on ne peut pas dire qu’ils communiquent avec vous.
D’autre part, je le constate que sur certains sites, des gens se font complètement démolir alors qu’ils disent des choses finalement pas si graves que cela. Dans la vraie vie, cela ne se passe pas ainsi. On ne peut pas dire que la communication, les échanges qui ont lieu sur Internet puissent être qualifiés de vraie communication. Donc, comme mes personnages sont souvent sur internet et qu’ils sont toujours en train de « communiquer », ce sont peut-être effectivement de grands solitaires.
Vous êtes ici dans le plus grand salon dédié à la culture japonaise en France [Japan Expo], à l’inverse, avez-vous des références artistiques françaises qui vous ont marqué ?
Oui, je peux citer comme référence pour moi de la culture française Moebius qui est malheureusement décédé il y a quelques mois. Pour moi, c’est un grand dessinateur.
(par Vincent GAUTHIER)
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