Comment se porte Futuropolis trois ans après la renaissance de ce label ?
Pas trop mal ! Cette fin d’année va nous faire du bien. Peu de gens savent que nous pilotons La Guerre des Sambre, la fresque d’Yslaire. Le deuxième tome de Hugo et Iris a été publié dernièrement. Et puis, il a les nouvelles histoires de Jean-Pierre Gibrat (Mattéo) et d’Étienne Davodeau (Lulu Femme Nue). Sans parler de la réédition de Sergent Kirk de Hugo Pratt, prévue en cinq volumes. Le premier tome sera d’ailleurs entièrement inédit en français. Ce sont des livres qui devraient marquer.
Vous publiez de plus en plus de livres. Est-ce une fuite en avant ? Ou la preuve que la société est devenue rentable ?
Ni l’un, ni l’autre (Rires) ! Nous allons freiner notre croissance. En créant les éditions Futuropolis, nous pensions publier près de trente-cinq titres par an ! Alain David et Claude Gendrot, deux éditeurs, m’ont rejoint et ont logiquement amené des projets. La vitesse de croisière est donc passée à 45 titres par an. C’est amplement suffisant ! Nous avons, certains mois, publié plus de quatre titres à cause de décalage dans les plannings de sortie (retards d’auteurs, reports pour cause d’une conjoncture mauvaise, etc). C’était trop ! En 2009, nous voulons nous limiter à la publication de quatre titres par mois. Nous désirons retrouver une certaine sérénité dans notre programmation.
Concernant la rentabilité de Futuropolis, les actionnaires et le gérant ont fixé un plan à cinq ans. Pour l’instant nous sommes dans la ligne des objectifs fixés par les actionnaires. Nous visons la fin de l’année 2009 !
Peut-on être rentable en ne publiant que des récits uniques, ou des courtes séries ? Pendant longtemps, les maisons d’édition ne vivaient que sur les ventes de fond.
La rentabilité de Futuropolis passera aussi par la gestion des « anciens » titres. Le fond se développe. Savez-vous que le Mattéo de Gibrat est notre centième album ! Nous avons commencé à zéro, et nos ventes de fond ne peuvent qu’augmenter (Rires). Certains de nos best-sellers continuent à bien se vendre. Je songe aux Petits Ruisseaux, à Un Homme est Mort, à Période Glaciaire, au Ciel Au Dessus de Bruxelles. Nous sommes une petite structure, et notre seuil de rentabilité ne se situe pas au même niveau que Dargaud, Dupuis ou Glénat.
Avez-vous encore le temps d’accompagner personnellement des auteurs ?
Oui. C’est important ! J’ai confié différents projets à Alain et Claude. Mais je ne pourrais pas me passer du suivi d’auteurs tels que David B, Blutch, Crécy, Yslaire et quelques autres. Cela me semblerait déraisonnable. Je souhaite conserver cette activité, qui est le cœur du métier d’éditeur.
Le cœur du métier, n’est-il pas plutôt d’accompagner les jeunes auteurs ?
Nous en publions chaque année ! Ce sont les livres qui nous demandent le plus de temps. Les invisibles de Jean Harambat nous a demandé beaucoup d’attention que, par exemple, Nouvelles du Monde Invisible de Jean-Claude Denis. Un suivi néanmoins primordial !
On parle de l’arrêt des séries qui avaient été publiées dans la collection 32 [1].
Je me rends régulièrement dans les librairies afin de comprendre le marché et de savoir ce que nos lecteurs pensent de nous. Les libraires nous ont confié qu’ils avaient du mal à vendre les albums issus de la collection 32. La reprise en albums des fascicules que nous avions publiés étaient déjà morte… Les chiffres de vente de certains de ces titres le prouvaient également. Cependant, certains d’entre eux se sont redressés, comme par exemple L’Idole dans la bombe et Le Monde de Lucie. Nous allons voir avec chacun des auteurs la manière la plus naturelle d’arrêter leur histoire. Nous voulons en stopper certaines rapidement, tout en offrant une fin au récit par respect pour le lecteur. Les dernières pages du deuxième album de Guerres Civiles pouvaient constituer une fin ! Nous l’arrêtons, donc. Par contre nous allons encore publier deux albums de James Dieu et de London Calling. Nous recherchons une solution équilibrée pour tous…
Nous souhaitons continuer à publier ces auteurs. Nous éditerons bientôt Le Suédois, le nouvel album de Christophe Gaultier. Les commerciaux me disent avoir, pour ce livre, une mise en place trois fois supérieure à Guerres Civiles. Il faut donc tirer les conclusions nécessaires.
Vous publiez de nombreuses adaptations dessinées de romans.
Oui. C’était plus ou moins dans le cahier des charges lors de la relance de Futuropolis. N’oublions pas que nous sommes l’un des labels BD de Gallimard. Il est donc logique que nous puisions dans son catalogue certains livres pour les adapter. Mais je ne souhaite pas en faire un système ! Une adaptation doit résulter d’une envie d’un auteur. Lorsque l’un d’eux me parle d’une telle envie, je discute avec lui pour mesurer à quel point l’univers de l’auteur est proche de celui du roman. Il y a des liens qui sont évident. Comme par exemple, Clément Belin, qui a adapté Les Marins perdus, un roman de Jean-Claude Izzo… Clément Belin est marin et a connu des situations comparables à celles évoquées dans cette histoire. Il y avait donc une résonance forte ! Jean-Philippe Peyraud était si imprégné par les livres de Philippe Djian qu’il était naturel qu’il adapte une nouvelle de l’écrivain lue dans Les Inrocks et inédite en livre. Il y avait là aussi un rapport évident. Mise en Bouche est paru au début de l’été.
Nous avons la chance, grâce à Gallimard, de favoriser les rencontre entre les auteurs de bande dessinée et certains écrivains.
Vous parliez tout à l’heure de Sergent Kirk, l’œuvre d’Hugo Pratt que vous allez publier…
C’est totalement inattendu ! Futuropolis s’est construit grâce à la publication d’œuvres fortes et contemporaines mais aussi issues du patrimoine. Il me paraissait essentiel de publier des rééditions à condition qu’elles puissent s’intégrer à notre ligne éditoriale. Ce fut le cas avec Je ne suis pas n’importe qui de Jules Feiffer. Alain David, éditeur chez Futuropolis, s’est rendu à Rome pour discuter de la possibilité d’éditer Sergent Kirk. Patrizia Zanotti, l’une des ayant-droits de Hugo Pratt qui gère son œuvre l’a reçu pour consulter le matériel disponible. Cette série a été dessinée durant les années cinquante lorsque le père de Corto Maltese était en Argentine. Il aurait alors réalisé près de 5000 planches pour la revue Misterix. À la fin des années soixante, un éditeur italien lui a proposé de monter un magasine autour du personnage du Sergent Kirk. Hugo Pratt lui-même a fait le montage et le nettoyage des films, en réécrivant au passage certaines scènes selon ses préoccupations de l’époque. L’œuvre a été condensée en neuf cents planches. L’éditeur italien a pris dernièrement sa retraite. Il a remis à Patrizia Zanotti l’ensemble des films. Les Humanoïdes Associés n’ont pas eu accès à ces documents lorsqu’ils ont publiés Sergent Kirk en 1984. Ils travaillaient sur des photogravures douteuses.
Nous nous retrouvons aujourd’hui en possession d’un matériel impeccable. Patrizia Zanotti a avalisé la maquette de notre réédition. Nous allons publier ces albums en utilisant un double passage pour les noirs, comme nous l’avons fait pour les livres de Tardi et de Muñoz, afin d’obtenir des noirs profonds.
L’une des missions d’Alain David n’est-elle pas de dénicher des romans graphiques anglo-saxons à traduire ?
Oui. Il travaille au cas par cas ! Nous venons de sortir Superspy de Matt Kindt. Nous avons planifié la publication de trois autres traductions dans les deux ans à venir ! On ne peut donc pas dire qu’il y aura une rafale de livre anglo-saxons chez Futuropolis. D’autres éditeurs sont plus présents que nous dans ce secteur…
Quelles seront vos grandes sorties pour 2009 ?
Le Ciel au Dessus du Louvre de Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière devrait sortir pour le printemps. Pour la première fois, Jean-Claude Carrière, s’attaque à la bande dessinée. Son scénario nous emmènera à la création du Louvre lors de la révolution. Avec comme personnages principaux Robespierre et le peintre David.
Nous allons clôturer l’année avec le troisième album d’Hugo et Iris. Tardi adaptera chez futuropolis Nada de Manchette. Il devrait ensuite dessiner un autre des romans de l’écrivain, sans doute la Position du tireur couché. Cette dernière adaptation est encore hypothétique, car Jacques Tardi peut encore changer d’avis. Surtout qu’il devrait, entre-temps, continuer à fournir des histoires à Casterman.
Pascal Rabaté reviendra également avec un livre…
Il ne s’apprêtait pas à réaliser une adaptation cinématographique des « Petits Ruisseaux » ?
Effectivement. Le tournage a été reporté à l’été prochain. Pierre Richard devrait endosser le rôle d’Émile. Macha Meril et Mylène Demongeot devraient également faire partie du casting. Comme le tournage du film a été reporté, il s’est attelé à une bande dessinée. Pascal Rabaté a déjà réalisé la bonne moitié d’un album.
Il y aura aussi un très beau livre de David Prudhomme. Sans oublier le destin de deux femmes qui se croisent, scénarisé par Frank Giroud et Denis Lapière. Cette histoire sera dessinée par Ralph Meyer. Luc Brunschwig nous offrira la fin du Sourire du clown et de la Mémoire dans les poches, ainsi que le troisième Holmès. Près de quarante-cinq titres sortiront l’année prochaine chez Futuropolis.
Comment jugez-vous l’état du marché de la bande dessinée ?
Je suis circonspect. J’ai reporté des titres fragiles auxquels je crois beaucoup à l’année prochaine ! Nous avons décidé de nous limiter et d’être attentifs aux quelques livres que nous éditons ! Nous devons être prudents, d’autant plus que nous n’avons pas de série best-sellers sur laquelle nous reposer.
Je suis inquiet également. De plus en plus de livres sortent, et les lecteurs n’ont pas un portefeuille qui se remplit forcément aussi vite que la production. Surtout en ces temps de crise… Nous participons nous aussi à ce mouvement. À chaque contrat que je signe, je me pose toujours la question de la pertinence de la publication du projet. Notre programme est quasiment bouclé jusqu’à la fin 2010. On doit être vigilant car les mises en place sont plus basses ces derniers mois. Il faut donc sans cesse nous interroger : comment exister sur le fond ? Comment communiquer autour de nos livres ?
Mourad Boudjellal est, dit-on, un patron vigilant, qui a l’habitude de s’immiscer dans la vie éditoriale de ses labels.
C’est l’inverse (Rires). Il n’intervient plus assez dans la vie du label Futuropolis. Quand il le faisait, au début de la renaissance de Futuropolis, ses remarques étaient très souvent pertinentes. Il comprenait et respectait notre politique éditoriale. Il travaille aujourd’hui sur d’autres projets et doit gérer sa maison d’édition Soleil et son club de rugby. Je suis toujours heureux de le recevoir. Cela fait d’ailleurs un petit moment que nous ne nous sommes plus vus. Quand je le vois, je suis content : nous sommes en confiance.
(par Nicolas Anspach)
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Lire une autre interview de Sébastien Gnaedig (Janvier 2005)
Lien vers le site des éditions Futuropolis
[1] Une première publication du début des histoires de cette collection a été réalisée sous la forme de fascicules de trente-deux pages. Ceux-ci ont été repris par après en album. Les éditions Futuropolis ont publié, quelques mois après, directement les histoires en album, pour cause de mévente des fascicules.
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