Vous avez débuté chez Casterman, éditeur de l’essentiel de votre œuvre. Pourquoi n’avez-vous pas continué avec cette maison tournaisienne ? Pourquoi le Lombard ?
Romain Renard : D’abord, je ne suis pas du tout en froid avec Casterman. Il se trouve que pour ce projet-ci, le Lombard m’a proposé un encadrement de travail et une confiance qui m’ont donné envie de bosser avec eux. Voyez-vous, le projet Melvile s’étend au-delà de la BD car il y a une application pour tablettes et j’ai aussi composé une bande son qui accompagne la lecture de cette BD.
Le Lombard a beaucoup changé ces dernières années. Sa ligne éditoriale a été revue et s’est considérablement modernisée. C’est une maison d’édition d’aventuriers. Elle prend des risques, elle innove et j’aime cela !
Les décors de Melvile rappellent beaucoup le Canada.
En effet, c’est inspiré du Canada, je ne peux pas le nier. Vous le savez, je suis parti durant plus de deux mois dans ce pays et ses paysages se sont durablement inscrits dans mon esprit. Néanmoins, je tenais à mettre de la distance, par pudeur, vis à vis de la thématique centrale de cette BD qui est en fait la filiation. Je n’aurais pas pu utiliser les décors du village de mes parents [1] dans le cadre de cette BD.
Vous dites que vous voulez mettre une certaine distance entre votre vécu et cette œuvre de fiction. Néanmoins, le personnage central de cette BD, c’est votre portrait craché.
Oui, c’est certain que j’ai un tout petit peu incarné le personnage principal mais c’était par souci d’honnêteté. Vous savez, le thème de la filiation était souvent présent d’une manière ou d’une autre dans mes précédents projets mais je ne le faisais pas de manière frontale. Je me suis toujours un peu caché derrière des personnages pour aborder ce sujet. C’était déjà le cas dans ma BD sur The End, l’album que j’ai consacré à Jim Morrison et ce fut encore le cas dans Un Hiver de glace où j’ai pioché dans l’œuvre de Daniel Woodrell pour raconter ce qui m’intéressait. Dans Melvile, j’ai voulu assumer pleinement mes questionnements. C’est pour cela que mon père y est présent durant trois pages, ou que Samuel Beauclair, le personnage principal me ressemble. En même temps, j’ai placé cette fiction dans un environnement nord-américain car ce n’est pas MON histoire mais une histoire dans laquelle certains éléments font écho à ma propre vie. La filiation n’est pas le seul thème de cette BD, je parle aussi de la lâcheté humaine et de la lâcheté de l’homme par rapport à sa condition amoureuse.
Concrètement, comment avez-vous conçu ce scénario ?
Le scénario m’est venu d’une seule image qui est présente dans cet album. Un soir en m’endormant, j’ai vu cette image et tout est parti de là. Au fur et à mesure, l’histoire s’est construite. Une histoire générale qui se poursuit à travers plusieurs personnages, tous habitants de Melvile, d’où le nom de l’album. Pour les autres albums, il ne s’agira pas d’une suite à cette BD-ci mais ce seront des récits parallèles à celle de Samuel Beauclair. Il pourrait apparaitre dans les prochains albums vu que le théâtre des évènements est ce petit patelin mais ce sera de manière fugace car son histoire est terminée. Melvile est une série de one-shots se déroulant dans le même univers et que l’on pourra lire de manière aléatoire.
Pourriez-vous nous parler du traitement graphique de cet album ?
Mon style est basé sur un mélange de fusain et d’encre. Je travaille d’abord toutes les valeurs de gris, qui sont faites à partir de ces deux outils, puis tout est scanné et colorisé sur ordinateur. Mais je dois quand même préciser que j’utilise très peu de couleurs.
D’où avez-vous puisé votre inspiration pour les personnages ?
Je me suis inspiré de tout ce qui m’entourait. J’avais envie de raconter des angoisses, un amour naissant, des petites choses comme ça.
C’est votre première BD en tant qu’auteur complet et maintenant que le livre est paru, comment vous sentez-vous ?
Je suis très heureux car j’ai pu mener à bien cet album. Peut-être que c’est une renaissance car c’est vraiment la 1ère fois que je travaille sur un projet aussi personnel. Je m’assume enfin en tant qu’auteur complet !
Pourriez-vous définir votre univers artistique ?
Je travaille beaucoup les ambiances. Mon style c’est de décrire le rapport entre l’humain et la nature.
Pourriez-vous nous parler de la bande son de cette BD ?
Pour Melvile, j’avais envie de regrouper la musique et la BD car je suis aussi musicien et lorsque je compose, ce sont exactement les mêmes humeurs, les mêmes sensations qui me traversent l’esprit que lorsque je réalise une bande dessinée. La technique étant ce qu’elle est, j’ai eu envie d’aller beaucoup plus loin en proposant de la réalité augmentée. Tous ces bonus apportent un plus dans la lecture de ma BD, sans pour autant être indispensables à la compréhension de cet univers que j’ai construit. C’est le livre qui est au cœur de l’expérience Melvile.
(par Christian MISSIA DIO)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.