On se souvient de l’album biographique « Les Aventures d’Hergé » de Stanislas, Bocquet et Fromental. L’avez-vous lu ? Qu’en avez-vous pensé ? Et finalement, vous a-t-il inspiré ?
Louis Alloing : Je l’ai lu et je dois avant tout préciser que j’aime beaucoup Stanislas. C’est pour moi un très grand graphiste, un excellent dessinateur dans l’héritage de la Ligne Claire. J’ai trouvé que cette manière de traiter la biographie d’Hergé était intéressante. J’ai appris des choses en lisant l’album.
Rodolphe : J’ai moi aussi lu et apprécié ce livre. C’est une très bonne idée. Quand je l’ai lu, il y a une dizaine d’années, jamais je n’aurais pensé un jour faire un exercice similaire avec un autre grand maître de la BD belge ! En ça, il n’y a pas eu de lien de causalité. Quand nous est venue l’idée de réaliser quelque chose autour de la vie d’Edgar P. Jacobs, il y a peut-être eu une réminiscence. Nos lectures reviennent toujours à la surface, un jour ou l’autre.
D’où vient votre intérêt pour Edgar Jacobs ?
Louis Alloing : Pour ma part, c’est un peu traditionnel. Quand j’étais enfant, nous étions une famille nombreuse, donc il y avait les albums pour les petits et ceux pour les grands. Hergé, avec sa lisibilité exceptionnelle et l’expressivité de son dessin, était dans la première catégorie. Jacobs, avec ses textes abondants, dans la seconde. Celle d’un passage vers d’autres lectures.
Rodolphe : Pour moi, c’est un peu différent. La seule bande dessinée admise à la maison, c’était Tintin. Dès qu’on sortait de ça, on était dans l’illicite, dans le pirate, dans le mauvais genre. Dans la culture familiale, Jacobs était donc dans ce versant noir de la bande dessinée. Ça apportait bien évidemment un plus, qu’une BD qui était acceptée par l’environnement familial ! J’ai échangé La Marque Jaune à un copain de classe contre quelques carambars. J’étais dans l’interdit, et ça a été un choc, une révélation. Mon seul point de comparaison, c’était Hergé. Je voyais donc toutes les ressemblances, certes, mais je voyais surtout tout ce qui divergeait… Ces atmosphères, Londres la nuit..., m’ont fortement marqué.
Comment avez-vous fait le tri entre les différentes anecdotes de la vie de Jacobs ?
Rodolphe : Je vous dirais que ce n’est pas un choix scientifique. C’est le feeling, c’est le ressenti personnel sur certains événements. Ce chaud au cœur ne peut pas être quantifié. On a beaucoup développé la partie de la vie de Jacobs lié à l’art lyrique et aux prestations scéniques. La raison, c’est qu’elle nous semblait omniprésente dans ses créations ultérieures en bande dessinée. C’est un moment formateur de son imaginaire. Les anecdotes choisies signifient toujours quelque chose de l’homme.
Est-ce que le choix des anecdotes a été quelque fois dicté par des soucis de mise en scène ? Certaines anecdotes peuvent être savoureuses lorsqu’elles sont racontées avec des mots, mais délicates à mettre en dessin…
Louis Alloing : Pas vraiment. Les scénarios de Rodolphe sont assez précis, très réfléchis sur la mise en scène. Je n’ai pas eu de difficulté à traduire ses intensions. C’est vrai ensuite que l’on raconte la vie d’un auteur de bande dessinée, il a fait de l’opéra, s’est produit sur scène, mais l’essentiel de sa vie, il l’a passée derrière une planche à dessins. Il faut trouver des astuces de cadrage pour représenter l’activité à la table !
Rodolphe : Sur les cent planches de notre album, on ne le voit qu’une demi-douzaine de fois assis devant son pupitre de dessinateur.
Vous êtes vous naturellement dirigé vers un trait en ligne claire pour parler de la vie de Jacobs ? Aurait-on pu imaginer la dessiner d’une autre manière ?
Louis Alloing : Non. Il y a une certaine sincérité dans le style que j’ai choisi. Mon expérience de dessinateur sur la série Marion Duval chez Bayard, m’amène naturellement vers cette famille graphique. J’ai tenté de m’éloigner du style de Jacobs, en étant plus synthétique, mais il me semble que ça ne fonctionnait pas. Dans sa vie et dans son dessin, Edgar Jacobs était quelqu’un du réel. Il travaillait ses cases de manière très précise. C’est difficile de le transposer dans un univers qui soit beaucoup plus schématique.
Une question sentimentale. J’imagine que d’être exposé au Centre Belge de la Bande Dessinée, à Bruxelles, ville que vous venez de dessiner sous de multiples coutures, doit avoir quelque chose d’un retour à la maison…
Rodolphe : L’exposition est le cadre idéal. On ne pouvait rêver mieux. C’est une manière de boucler la boucle de ce projet. Je suis ravi de cette opportunité. À titre personnel, Bruxelles fait partie de mes villes préférées, avec Londres. Jacobs est un des monuments de la culture belge. C’est épatant de pouvoir fêter ce livre ici à Bruxelles. D’ailleurs notre album contient une dédicace : Aux Belges, à leurs auteurs.
Louis Alloing : Ce qui est amusant, c’est que Jacobs, auteur bruxellois, n’a jamais dessiné Bruxelles. De mon côté, j’ai découvert cette ville dans Tintin. Alors, chaque fois que j’y mets les pieds, il y a quelque chose de sentimental qui s’éveille en moi.
Rodolphe : On a essayé de restituer un lieu, cette ville, mais aussi un temps. Jacobs a traversé le vingtième siècle, on en donne une idée en racontant sa vie.
Votre album a été menacé par une assignation en justice des ayants droit de Jacobs pour plagiat. Ils ont finalement été débouté. Quel est votre sentiment par rapport à cette controverse ?
Louis Alloing : La manière dont on nous a attaqué sur ce livre mettait en doute la sincérité de notre hommage à Jacobs. Or, notre idée n’était pas de tromper les gens : il n’a jamais été question de faire un album pastiche de Blake et Mortimer. On voulait raconter ce grand créateur qu’était Edgar P. Jacobs.
Rodolphe : Notre livre dit notre amour pour lui et pour son œuvre. Sincèrement.
Une dernière question, rituelle, quel est le livre qui vous a donné envie de faire de la bande dessinée ?
Rodolphe : C’est certainement « La Marque Jaune » ou « Les 7 Boules de cristal ». Deux albums qui portent l’inimitable griffe de Jacobs ! J’y reviens !
Louis Alloing : Je dirais Hergé, mes premiers albums, mes premières lectures.
(par Morgan Di Salvia)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Illustrations © Alloing - Rodolphe - Delcourt
Photos © M. Di Salvia
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La Marque Jacobs, par Louis Alloing et Rodolphe
Exposition à la Gallery du Centre Belge de la Bande Dessinée. Jusqu’au 9 décembre 2012.
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