Pendant des années, les lecteurs ont pu lire notamment vos Harry Dickson et les combats aéronautiques des Tigres Volants. Comment avez-vous été amené à passer le cap de l’uchronie avec Wunderwaffen ?
Les « pré-nazis » de Harry Dickson, tout comme les “vrais” de Wunderwaffen, trouvent leur origine dans mon grand intérêt depuis 40 ans pour le sujet. Quant aux avions, c’est une passion encore plus ancienne, remontant à mon enfance dans les années 1960, incarnée par le grand-oncle de ma mère, l’ingénieur général de l’armée de l’air Louis Mazier qui était une « vieille tige », le premier aviateur à s’être posé dans le Jura en 1911 et un ami de tous les héros de l’Aéropostale et des dirigeants de chez Latécoère. Imaginez ce que c’est pour un gamin de dix ans d’écouter quelqu’un qui avait bien connu Mermoz ! Étant un grand amateur d’uchronie depuis toujours, il était fatal que tout ça finisse par se croiser un jour dans une même histoire…
Le personnage central de Wunderwaffen est un pilote allemand devenu SS sous la contrainte. Fallait-il présenter un « bon » Allemand, même s’il abat des centaines de soldats alliés ?
C’est un faux débat. Cela voudrait dire qu’il n’y aurait que les soldats alliés à être « bons » ? Insensé ! Chacun faisait son devoir et s’il y eut infiniment plus de « monstres » dans le camp des vaincus en raison des idéologies qui l’animaient, notre camp a pas mal de choses à se reprocher lui aussi… Mais c’est le lot de toutes les guerres. Un bon pilote allemand avait comme premier devoir de détruire le maximum d’adversaires tout comme un bon pilote allié avait le même devoir dans l’autre sens. Ce n’est pas plus compliqué que ça.
Outre les fameuses armes spéciales des Allemands, votre récit se focalise également sur un nouvel Auschwitz : pourquoi avoir choisi d’imaginer une nouvelle atrocité réalisé par ce Sonderbüro ?
Tout d’abord, le Sonderbüro est un clin d’œil à un faux service allemand du même nom inventé dans les années 1970 par l’ufologue français Henry Durrant et qui se serait occupé des « soucoupes volantes » du Reich. Durrant avait fait ça comme un test pour voir à quel point certains auteurs de livres sur les ovnis pouvaient recopier les informations sans les vérifier. Avec un résultat édifiant…
Ensuite, en me mettant dans la peau des dirigeants nazis, je me suis demandé ce qui se serait passé si l’un d’eux, Himmler, s’était rendu compte que la Solution Finale pouvait être gérée d’une manière encore plus « rentable », en clair plus épouvantable, sauf aux yeux d’un dirigeant nazi. Le Nouvel Auschwitz et ce qui s’y passe apporte une réponse. Au moins, on ne pourra jamais me taxer d’être révisionniste !
Outre l’Uchronie, votre récit se teinte parfois de fantastique, alors qu’un escadron de « Trompe-la-mort » surgit, des hommes et femmes qui semblent presque invincibles. Est-il nécessaire de maintenir un tel suspens pour captiver le lecteur ?
Le projet initial de Wunderwaffen » était une mini-série destinée aux nombreux amateurs d’aviation qui, comme moi, étaient intéressés par les armes spéciales volantes allemandes. L’intérêt porté immédiatement par les commerciaux et les libraires à la vue des premières planches, nous a fait très vite changer de braquet. Ce qui n’a pas été pour me déplaire ! Alors, j’ai décidé d’amplifier l’histoire, de créer un univers uchronique consistant, et surtout de faire dans l’inédit en introduisant dans ce scénario aéronautique déjà un peu original des éléments inhabituels dans une série d’aviation comme les recherches paranormales du Reich et la mythologie noire autour des inventions révolutionnaires des ingénieurs nazis. Le tout raconté du point de vue allemand…
Il vous a alors fallu agrandir votre documentation ?
Cela ne m’a posé aucun problème dans la mesure où je suis ces sujets sulfureux depuis plus de 40 ans, après les avoir découvert dans Le Matin des Magiciens de Bergier & Pauwels puis dans Le Nazisme, société secrète de Werner Gerson (Pierre Mariel). De plus, j’avais depuis longtemps l’envie d’écrire une histoire où interviendrait l’Ahnenerbe, l’espèce de « bureau de l’occulte » nazi créé en 1935 par Himmler. Avec Wunderwaffen, l’idée que l’Ahnenerbe se penche sur un projet d’une unité de soldats « trompe-la-mort » ayant prétendument hérité d’un talent de survie exceptionnelle issu de l’ancienne « race supérieure » aryenne n’a rien d’étonnant en soi dans ce contexte… Et c’est un bon ressort de scénario.
Wunderwaffen se centre également sur les personnages historiques que sont Hitler et ses comparses : Goebbels, Goering, Himmler, etc. Vous évoquez en détail les tensions (possibles) entre les uns et les autres, alors que la plupart des récits préfèrent les laisser dans l’ombre.
Bien sûr qu’ils sont des personnages à part entière ! Ce sont les marionnettistes, non ? Mais le vrai super-méchant de l’équipe, c’est Himmler. Ceci dit, je n’oublie pas pour autant Churchill et De Gaulle pour qui le lecteur éprouve tout de suite de la sympathie, et Truman mais qui, lui, paraît moins franc du collier. Et puis il y a Jacques Bergier, finalement le vrai « juste » de cette histoire… Pour en revenir aux dirigeants nazis, je les présente comme ils étaient dans la vie de tous les jours, des monstres décomplexés dans leurs actes et leurs propos. Puis je pousse le curseur un peu plus loin en les mettant en scène dans un univers où le Reich a retrouvé des chances de s’en sortir face aux Alliés, avec l’occasion de commettre plus de crimes encore…
Les derniers tomes de Wunderwaffen apportent un nouvel élément à la série : la présence d’un étrange vaisseau prisonnier dans les glaces de l’Antarctique.
À vrai dire, une fois que j’ai eu le feu vert pour amplifier le projet original, tout ce qui s’y passe maintenant, tout ce qui relève du fantastique, du paranormal ou de la SF s’est présenté d’un bloc à moi. Je le répète, mon but est de faire de Wunderwaffen une sorte d’ovni dans son genre, brisant des conventions et ajoutant des épices venues d’ailleurs. Ici, ma culture fort légère en matière de BD (je viens du roman, ne l’oublions pas..) est un atout, car je ne subis pas le poids des cadres associés au genre. Je fais ce que je veux, sans état d’âme, juste pour le plaisir de raconter une histoire que j’espère bonne et, surtout, sortant de l’ordinaire.
Avant de revenir à votre intrigue du tome 6, le tome 5 propose un habile retour en arrière sur la pierre angulaire de votre Uchronie : le D-Day transformé en Disaster Day...
Disons qu’initialement, j’avais prévu Disaster Day comme un tome 3. Puis c’est devenu le tome 4… Mais je me suis aperçu qu’avec les quatre premiers albums s’était construite une sorte de « Saison 1 » de la série, pour reprendre une terminologie propre à la TV, et on a vraiment bloqué cette préquelle, très important à long terme pour l’histoire générale, sur le T5. Et il s’est trouvé que c’était le volume prévu pour mai/juin 2014… Ça n’a rien eu d’un coup monté commercial. Juste un heureux concours de circonstances ! Cette préquelle avait pour premier but de mettre en scène le fiasco allié du 6 juin, un élément « parlant » pour les lecteurs, fiasco causé par une organisation et un renseignement très améliorés des Allemands mais aussi et surtout par une mystérieuse intervention “météorologique” qui va faire penser à Hitler que les Dieux nordiques sont venus à sa rescousse. Sauf que le Führer, une fois de plus, s’est trompé… Cette intervention est une des clés du dénouement final de la série.
Fournissez-vous la majorité de la documentation à Maza, ou doit-il lui-même faire des recherches ?
Maza est le rêve de tout scénariste. Il dessine bien et ce, du matin au soir, et il n’y a pas besoin de lui fournir la doc… Il suffit de lui dire dans le découpage : « ici c’est un avion de tel type, là le gars à un pistolet de telle marque, etc. ». Et hop, il vous sort le matériel exact ! Et en plus, il gère la partie couleur et les détails avec nos coloristes de Digikore à Bombay…
Comment vous documentez-vous pour décrire les batailles aériennes ?
Je me base sur les dizaines de livres que j’ai pu lire sur le sujet, écrits par des aviateurs alliés ou de l’Axe. Et j’y ajoute du spectaculaire, de « l’airporn » persifleront certaines mauvaises langues, et une touche occasionnelle de « gore » montrant la réalité de ces combats sanglants et acharnés. J’assume complètement car ça me plaît de faire ça. J’ai aussi intégré deux aviateurs émérites allemands dans mon équipe de « trompe-la-mort », car ils l’ont été dans la réalité : Hans Rudel, la terreur du Front de l’Est sur ses Stukas et dont la tête avait été mise à prix par Staline, et Hanna Reitsch, la pilote d’essai numéro 1 du Reich que rien ne sembla jamais pouvoir arrêter.
Les dossiers complémentaires sont toujours d’une grande richesse, mais sont quelquefois parfaitement authentiques, et parfois complètement imaginaires.
Ces dossiers prennent en compte le fait que la série se déroule en 1946 et 1947. Il y a donc forcément un mélange de réalité et de fiction. Aucun n’est donc « parfaitement authentique » sauf celui du T1 qui explique ce qu’étaient les « Wunderwaffen » dans la réalité, un peu pour planter le décor. Ensuite, ces bonus deviennent partie intégrante de l’univers uchronique et apportent des détails ou des explications qui ne figurent pas dans les BD. Il est important de les lire tous ! Il y en a un par album et c’est moi qui décide du contenu, ce qui est logique dans la mesure où je suis le seul à avoir une vision à peu près globale de ce qui devrait se passer (et encore, car l’histoire a une tendance à se nourrir aussi d’elle-même…). C’est un plus que semblent vraiment apprécier des lecteurs. Je les vois comme une sorte de réalité augmentée et, dans le T6, pour la première fois, il y a un renvoi dans une séquence de la BD au « bonus » d’un album précédent pour comprendre de quoi on parle…
Avez-vous déjà imaginé une conclusion à Wunderwaffen ?
Oui, j’ai une fin toute prête, à mes yeux assez surprenante, que je pourrai mettre en action à partir du T8. Une fin qui pourrait ouvrir sur le début d’une autre série… Mais c’est une autre histoire. En tout cas, ça me rassure de savoir que si les lecteurs fatiguent ou si je sens que j’ai tout dit ou presque, je peux arrêter les frais avec une vraie chute. Quant à Maza, seule la mort semble-t-il pourrait l’arrêter !
Pour les mordus de la série, pourriez-vous commenter le tome 6 qui vient de sortir ? Comment s’articule-t-il par rapport au précédent et au suivant ?
Après l’intermède du Disaster Day, le tome 6 Le Spectre de l’Antarctique reprend l’histoire exactement là où elle a été laissée au T4, dans l’esprit « roman-feuilleton », sans temps mort, qui anime la série. Et le T7 reprendra l’histoire 5 minutes après la fin du T6…
Quant à la préquelle du T5, elle présente l’avantage de permettre au lecteur de découvrir l’univers de Wunderwaffen sans spoiler le reste de la série, qu’il vaut mieux autrement attaquer par le premier tome.
Nous reviendrons sur les spin-off de Wunderwaffen et le one-shot dédié à l’Orient-Express dans la seconde partie de cette interview.
(par Charles-Louis Detournay)
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De Richard D. Nolane, lire nos précédents articles :
Soleil s’attaque à l’uchronie aérienne : « Wunderwaffen » !
Millénaire : tomes 1 et 5
Centurion tome 1
Russel Chase, tomes 1 et 2
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