Au Maroc, dans la région du Rif, de nos jours. Medhi et Soraïa, deux orphelins élevés par leur oncle et leur tante sont séparés par la misère. Leurs tuteurs ont décidé de vendre la gamine à une famille aisée de Tetouan. De bons Musulmans à ce qu’il parait, qui prendront soin d’elle et l’enverront à l’école… Révolté par cette décision, Medhi part à la recherche de sa sœur sans pour autant réaliser à quel point son voyage sera semé d’embûches.
Disons le tout net, l’histoire de Soraïa, le nouvel album de Renaud de Heyn - auteur de La Route du Kif - se termine mal ! Pas de happy end car l’auteur veut sensibiliser le lecteur au problème de l’exploitation des enfants et du travail forcé. Une problématique grave et bien réelle qui n’est pas toujours relayée comme il le faudrait dans les médias. Rencontre.
Une évidence nous saute aux yeux lorsque l’on referme votre dernier ouvrage, c’est que l’on a connu des BD beaucoup plus joyeuses !
Renaud de Heyn : (grand éclat de rire). J’avais envie de faire une tragédie, de faire une sorte de western qui se déroulerait dans le Rif. J’ai récemment découvert le travail de Cormack Mac Carty, qui est un écrivain américain auteur de quelques westerns contemporains extrêmement sombres et le déclic s’est fait à la lecture de ses bouquins. Il y avait cette envie de quête et d’itinérance et de parler de toute une série de problématiques propres au Rif et que je n’avais pas pu aborder dans mon reportage BD. C’est comme cela que tout s’est mis ensemble et que Soraïa est née. L’écriture du scénario s’est faite assez facilement.
Vous semblez bien connaitre l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
Heyn : j’ai vécu deux ans au Maroc. J’ai beaucoup voyagé. Je ne sais pas si je peux dire que j’ai vraiment une sympathie pour l’islam, mais je me suis rendu compte que l’image que l’on donne de cette religion aujourd’hui est souvent très négative… Ce que les gens vivent au quotidien est souvent très éloigné des images caricaturales que l’on a aujourd’hui.
Justement, ne pensez vous pas que votre BD tend à renforcer les stéréotypes négatifs sur l’islam et les cultures des pays de l’Afrique du Nord ?
C’est un des problèmes de conscience que j’ai eu au départ avec mon envie d’écrire ce livre. Mais si on gratte un petit peu, on se rend compte qu’un des deux personnages principaux, c’est-à-dire Medhi qui part à la recherche de sa sœur, a un courage extraordinaire et qu’il résiste à la tentation de tomber dans le djihadisme et la haine de l’autre. En même temps, tous les problèmes que j’aborde dans Soraïa existent bel et bien au Maroc MAIS ne sont pas liés au monde musulman. Ils sont liés à une région en particulier, le Rif, qui a été livrée à elle-même pendant des années à cause du roi Hassan II, parce que les Rifains ont une longue tradition de rébellion et de refus de l’autorité. Donc, il y a tout un historique complexe de la région auquel s’ajoute la proximité de cette zone avec l’Europe, ce qui donne naissance à tout une série de trafics en tous genres.
Cette histoire est aussi un cri d’alarme face à l’exploitation des enfants. Que pouvez-vous nous dire sur la situation générale de ce fléau ?
Bien que la problématique existe aussi en Europe, je ne suis pas vraiment au courant de l’actualité. C’est en vivant au Maroc que j’ai été sensibilisé à ce problème. J’ai entendu de terribles faits divers dans lesquels des gamines étaient battues à mort, torturées, violées par leurs propriétaires. La problématique de l’esclavage moderne existe et est assez bien développée dans le monde arabe. Cela existe aussi ici. Mais il y aussi la problématique des clandestins qui, dans certains cas, peut aussi être assimilé à de l’esclavage moderne. Par exemple à Almeria, en Espagne, il est de notoriété publique que la main d’œuvre est composée de clandestins qui travaillent dans des conditions épouvantables. Bien sûr que l’esclavagisme moderne existe et n’a jamais cessé d’exister. Étant donné que j’ai vécu au Maroc, j’ai entendu tout une série de choses dont j’ai eu envie de parler et cela en fait partie.
En tant qu’artiste, qu’est qui vous anime ? Qu’est ce qui fait qu’à un moment donné, vous prenez votre crayon et vous racontez une histoire ?
Parler de certaines choses qui me semble importantes et que j’ai envie de partager. Mes deux ans au Maroc m’ont marqué et j’ai eu envie de partager ce que j’avais pu apprendre là-bas. C’est quelque chose d’humain et une certaine forme de tolérance et de compréhension. Je crois sincèrement que grâce à la compréhension de l’autre, on développe la tolérance.
Que pensez-vous de toutes ces controverses autour de l’Islam ? Il y a eu la question du Halal en France, par exemple.
Je trouve cela déplorable ! Je pense qu’il y a un climat d’islamophobie et d’amalgames. Il est vrai qu’il y a l’Islam politique mais celui-ci n’est pas forcément négatif. À titre de comparaison, on oublie que, chez nous, il y a eu le socialisme chrétien qui a participé à l’amélioration de la condition ouvrière. La religion en politique n’est pas obligatoirement une mauvaise chose ! La vision qu’a l’Occident du monde musulman est complètement caricaturale et j’ai envie de démonter ces clichés.
N’est-ce pas ce que vous aviez déjà essayé de faire dans La Tentation ?
Effectivement, c’était déjà le cas. Dans Soraïa, j’ai été un peu plus loin mais en abordant des problématiques plus dures. Ce n’est pas parce que l’Occident a une vision déformée du monde musulman que je ne peux pas parler de ce qui ne va pas bien dans cette partie du globe.
Vous ne bridez pas votre liberté de pensé et de parole, en somme.
Le “politiquement correct” m’ennuie terriblement mais je trouve que l’islamophobie se développe d’une manière alarmante ! Une amie musulmane m’a même confiée avoir envisagé de quitter la Belgique parce que l’ambiance était devenue étouffante !
Selon vous, quel est la cause du problème que vous traitez dans Soraïa ?
Heyn :À cause du système politique qui existait dans le Maghreb, il y a tout une série de problèmes qui ne pouvaient pas être réglés. Dans ces pays, les gens qui avaient un peu de pouvoir considéraient qu’ils n’avaient de compte à rendre à personne. Cela enlève tout civisme. C’est la loi du plus fort qui pousse au désespoir et cela peut ouvrir les portes à tous les extrêmes, à la haine.
Ne pensez vous pas que l’intégrisme religieux participe au pourrissement de la situation ?
Lorsque je parle des fondamentalistes que Medhi rencontre dans le livre, il y a un fond de discours qui est vrai, mais le fonds du problème, c’est qu’ils rejettent la responsabilité sur les autres, ceux qui sont différents. Et c’est toujours comme cela ! C’est pourquoi, je n’aime pas le terme « islamiste ». Pour moi, il n’est pas juste parce que ce ne sont pas des gens qui ont avoir avec l’Islam, ce sont de fascistes ! Selon moi, le discours des Islamistes et le même que celui de Marine Le Pen, de Sarkozy ou des néonazis qui viennent d’arriver en Grèce.
Quels sont vos prochains projets ?
j’ai un projet de reportage dont je ne préfère pas encore parler pour l’instant. Mais, je travaille aussi sur l’histoire d’un danseur sur le retour, qui s’enferme dans son processus créatif et qui met son entourage en danger à cause de cet enfermement.
(par Charles-Louis Detournay)
(par Christian MISSIA DIO)
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Lire :
notre chronique de Soraïa
notre précédente interview de Renaud de Heyn : "Vent Debout" et "La Tentation" expliquent nos réactions face à la mort et à la religion
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