Vous êtes donc issus d’une école d’art [1], dont sont sortis de nombreux auteurs de bande dessinée avant vous [2]. Comment cela affecte selon vous la perception qu’on a de votre travail ?
Cela nous donne peut être une certaine crédibilité auprès des lecteurs. Dans le monde de la micro-édition, avant nous, il y a eu l’institut Pacôme, Ecarquillette ou encore Belles Illustrations. Notre revue s’inscrit donc dans une lignée. Chaque magazine préserve bien sûr ses spécificités et sa ligne éditoriale mais le sentier a déjà été plus ou moins balisé par d’anciens étudiants de l’ESAD. Nous ne sommes pas inconnus et les lecteurs sont souvent très curieux de pouvoir découvrir une nouvelle proposition de revue strasbourgeoise.
On ne peut s’empêcher de remarquer une cohérence graphique et conceptuelle dans Nyctalope qui n’est pas aussi évidente dans d’autres publications étudiantes. Est-ce l’école qui forge ce style, cet état d’esprit ?
L’école propose simplement de faire de l’illustration ou de la bande dessinée dans une école d’art. C’est cette mixité, ce dosage entre arts appliqués et beaux arts qui rend l’option singulière et attractive. Bien sûr, il s’en dégage une volonté commune d’appréhender l’illustration différemment, de jouer et de s’approprier les codes. Puis, nous sommes un groupe, nous travaillons en parallèle. Naturellement, nos projets se nourrissent les uns des autres.
Vous considérez-vous comme des artistes ? De quelle manière l’école vous apprend/aide dans votre démarche de créateur ?
Artistes, illustrateurs, la frontière ne nous semble pas évidente. Nous sommes avant tout des personnes qui veulent utiliser le dessin et le support du livre pour s’exprimer, raconter des histoires, faire des expériences aussi bien graphiques que narratives. Cela fait-il de nous des artistes ? Nous n’en savons rien et qu’importe.
Nous venons d’horizons divers. Il y a ceux qui rêvent depuis toujours de faire de la bande dessinée, ceux qui sont arrivés là un peu par hasard et qui ne savent pas réellement ce qu’est l’illustration. Certains se sont spécialisés très tôt, d’autres ont suivi des formations plus généralistes, ou sont à l’ESAD depuis la première année.
Nos projets dialoguent. Ceux qui ont appris la bande dessinée de façon plus classique oublient un peu de leur acquis au contact d’étudiants qui arrivent d’un cursus artistique. Ceux qui ignorent les codes et découvrent l’illustration se nourrissent inversement des projets plus spécialisés.
Nous passons trois années ensemble. L’enseignement est très libre. Nous poussons, les uns à côtés de autres, chacun à notre rythme. Le climat nous semble idéal et la terre fertile.
Pourquoi Nyctalope est-il diffusé par “colportage” à Strasbourg, Paris et Leipzig ? Et à si peu d’exemplaires, malgré un succès évident ?
Si peu d’exemplaires parce que nous n’avons pas suffisamment de fonds pour en faire davantage. Le succès des deux derniers numéros nous a un peu dépassés ! Jusqu’à présent, ce projet se voulait très modeste. On envisage désormais de demander des bourses, d’augmenter le tirage, et peut-être même de passer en offset.
Quelle est votre perception de la bande dessinée, du contexte éditoriale ?
Au travers de Nyctalope, nous affirmons une envie de "livre", en soignant l’objet et son contenu, sans réellement se soucier d’appartenir à un univers codifié. La microédition permet un contact direct avec le lecteur, de présenter les personnes qui sont derrière le magazine, ce que nous privilégions largement en nous déplaçant au maximum.
Quant à une vision générale sur la bande dessinée, nous sommes de jeunes auteurs, nous commençons juste à nous confronter aux éditeurs, à recevoir des commandes… Sans être candides, nous n’en sommes qu’à nos premiers pas.
Nyctalope, c’est plutôt une carte de visite collective, ou un projet en soi ? Avez-vous la volonté de trouver, ou de créer votre place dans le paysage ?
Nyctalope est bien évidemment une vitrine pour les illustrateurs qui y participent ! Mais nos objectifs sont de plus en plus grands. Initialement, il s’agissait d’un projet de classe, puis petit à petit, nous avons tous les trois [3] pris les rênes. Penser l’objet dans son intégrité, suivre toute la chaîne de productions du livre nous intéresse énormément et s’avère très formateur.
L’an prochain, nous ne serons plus étudiant. Les choix individuels risquent de nous disséminer un peu partout, et nous espérons que le projet résistera.
Sollicités pour des projets de commandes, pressés par des réalités économiques, nous aimerions continuer le magazine et l’envisager cette fois, non plus comme une vitrine, mais davantage comme un laboratoire, comme un champ de liberté où les illustrateurs proposent des projets qui leur tiennent à cœur, sans contrainte, et répondant à leur exigence propre.
Imaginez-vous un jour publier des livres de cette manière “artisanale” ?
Pour l’instant, nous ne pensons pas réellement éditer des livres autres que Nyctalope. Nous nous contentons d’en rêver. La fin de l’école représente une grande étape et nous attendons de voir si notre trio est suffisamment solide, et si les illustrateurs, une fois sortis de l’école, nourriront encore l’envie de contribuer à la revue.
Pensez-vous privilégier la forme sur le fond ?
La forme est très importante. Il nous semble intéressant de proposer des images au graphisme un peu expérimental ou décalé, de diffuser de la bande dessinée aux codes revisités. Mais nous essayons également d’être, au fil des numéros, de plus en plus exigeants sur le fond. Il n’est pas toujours facile d’amener une histoire, de poser un univers dans un ouvrage collectif qui consacre peu de pages à chacun. Nous souhaitons pourtant vivement que les projets présentés soient narratifs ou revendiquent une idée. Il serait dommage qu’une revue ne soit qu’un catalogue d’images, qu’un carnaval de styles. Il est primordial pour nous, de défendre des propositions d’auteurs-illustrateurs. Dans l’enchaînement même des projets, nous cherchons à créer des liens inattendus, des clins d’œil, des connexions surprenantes. Les images ne sont pas simplement juxtaposées les unes aux autres, arbitrairement. Il s’agit avant tout de faire un livre, qui se regarde mais aussi qui se lit.
Parlez-nous un peu de votre exposition à Strasbourg. Nyctalope n’est-il pas en lui-même une manière optimale d’exposer vos travaux ? Comment envisagez-vous l’exposition de travaux narratifs ?
C’est parce que Nyctalope est déjà en lui-même une forme d’exposition, que nous ne souhaitions pas faire de l’évènement-périscope, un simple accrochage des pages présentées dans le magazine. Il s’agit encore une fois de montrer les productions des auteurs de la revue, mais cette fois-ci, dans un autre cadre. Les projets ne se lisent plus sur des pages, dans un autre ordre précis, mais cohabitent dans un lieu.
Une petite salle. Sur les murs pas de projets à lire, des images qui présentent un intérêt plastique. Des originaux qui fonctionnent dans une contrainte de reproductivité mais qui ont une autre dimension, et une autre puissance à être vus en vrai. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que nos auteurs travaillent principalement à la main, et possèdent donc des images qui ont un vrai sens à être également exposées.
On pouvait aussi consulter avec précaution des livres-objets n’existant qu’en deux ou trois exemplaires. Toutes ces choses qui ne peuvent figurer dans un magazine, toutes ces recherches qui envisagent le livre non pas comme un simple support mais davantage comme un moyen de prolonger la narration, d’utiliser les pages, le papier, les découpes pour raconter.
Le projet Nyctalope est présenté et vendu. Il est alors un morceau d’exposition à emporter chez soi, à ranger dans sa bibliothèque.
Propos recueillis par Beatriz Capio
(par Beatriz Capio)
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