Vous semblez attiré par la bande dessinée depuis votre plus jeune âge !
Les premières BD que j’ai lues, étaient des récits d’aventure. C’est un genre qui m’a toujours attiré. Astérix, Alix, Tintin, Blake & Mortimer et bien évidemment Les Tuniques Bleues. À travers ces histoires, je me plaisais à voyager, à m’émerveiller et à m’instruire. Dessiner une BD est vite devenue une évidence. Celle de raconter des histoires. Une simple feuille blanche, des crayons et beaucoup d’imagination suffisaient à satisfaire mon besoin de création. Même si aujourd’hui, le matériel a bien évolué, s’est informatisé, voire numérisé…
Qu’est-ce qui vous fascine dans ce médium de la bande dessinée ?
Le travail sur une BD est un processus long. Chaque étape demande un savoir-faire spécifique. J’apprécie le tout-début de la création d’une BD : les recherches, m’enfouir dans la documentation, lire et apprendre... Avec Cézembre, j’ai retrouvé le goût de l’écriture et celui de faire vivre mes propres personnages. Et si je me sens à l’aise pour dessiner, je dois dire que faire de la mise en scène, du story-board m’éclate, même si l’écriture de dialogue me demande beaucoup de temps et de réflexion. On travaille dans le doute constant. Même lorsque l’on croit que l’on a trouvé la bonne solution.
C’est sur "simple" présentation d’un dossier que vous avez été mis en contact avec Olivier Vatine. Vous qui lisiez Aquablue étant plus jeune, quelle sensation avez-vous ressentie ? Comment se sont déroulés ces premiers contacts ?
C’est par téléphone que le premier contact a eu lieu. J’étais dans un autre monde. Après quelques instants de stupeur, j’ai réalisé que c’était réel. J’avais Olivier Vatine au bout du fil. Le plaisir ultime du fan d’Aquablue !! Il a commencé à me parler d’un projet de BD, c’était Golden City. Il souhaitait que je réalise des essais de dessin. Il me donna des descriptions des personnages et avant même de recevoir le synopsis je préparais déjà les premières recherches d’Harrison, de sœur Léa et des pilleurs d’épaves.
Quels ont été les conseils que Vatine vous a prodigués ?
N’étant qu’amateur et autodidacte, ses premiers conseils se sont portés sur mon dessin, il a tout de suite repéré mes défauts dans l’anatomie de mes personnages. Je n’avais pas encore de méthodes pour avoir « l’œil neuf ». Aujourd’hui lorsque je regarde mes vieux dessins, cela me saute aux yeux. Pour affiner et développer mon trait et mon imagination, il m’a intéressé à certains auteurs de BD et de design, comme Milton Caniff ou Syd Mead. Ses conseils se sont aussi portés sur la mise en scène de mes planches. La réalisation du premier tome de Golden City a été un album d’apprentissage sur mon métier de dessinateur. Je l’ai vécu comme une vraie formation professionnelle.Olivier Vatine en était le professeur.
Par la suite, vous avez lu le synopsis de Golden City. Quels sont les éléments marquants que vous y avez décelés ? Pourquoi ce scénario vous a-t-il plu ?
Après ce premier échange, le scénariste Daniel Pecqueur m’envoya le synopsis. J’étais séduit par les personnages et l’univers. Le dossier que j’avais remis aux éditions Delcourt développait une aventure d’anticipation sur fond d’univers aquatique. Je retrouvais mes inspirations du moment. Mais l’histoire de Golden City avait une part de violence qui me gênait. Je me souviens surtout d’une scène avec des cannibales, qui a été retirée par la suite...
Comment s’est passée la mise en place de la série ?
Lors de mes toutes premières recherches de personnages, je travaillais sur les traits de sœur Léa, avec enthousiasme. J’avais dessiné une belle jeune femme blonde. Lorsque Olivier Vatine et Daniel Pecqueur l’ont vu, ils m’ont fait remarquer que je m’étais trompé. Dans le synopsis, sœur Léa était vieille. Mais ils ont trouvé l’idée si séduisante que le personnage est resté ainsi ! Le personnage de Banks a été le plus laborieux à faire. C’est très difficile de dessiner les beaux gosses, les héros, les belles gueules. Les échanges ont été nombreux pour le finaliser. Les Pilleurs d’épaves, le premier tome de Golden City, m’a donné un plaisir fou dans leur création. Mes souvenirs d’enfance, de cabanes perchées, des lectures du Club des cinq ou de Peter Pan m’ont fortement inspiré. J’ai tellement développé leurs personnalités par le dessin de leur univers que ces personnages qui ne devaient apparaître que dans le tome 1 sont devenus récurrents et indissociables de l’univers de Golden City.
Comment s’est déroulée la relation avec Daniel Pecqueur ? Vous a-t-il laissé de la place pour que vous puissiez vous accaparer Golden City ?
Je me suis immiscé très vite dans cet univers en dessinant énormément de design. Je discutais avec Daniel Pecqueur du scénario. Je produisais beaucoup de recherches parfois pendant l’écriture du scénario. Par exemple, sur le tome 3, j’avais donné l’idée de l’exfiltration du prisonnier Harrison Banks, en me référant à une technique des forces spéciales américaines pendant la Guerre du Vietnam. Cela a donné la scène finale où Banks est récupéré par un avion, grâce à un ballon-sonde...
Pour le tome 5, une des recherches (le décor de l’université de Brad avec le clone de Harrison Banks) a été utilisée dans le premier tome de Golden Cup. Ils ont retravaillé le style de l’école, mais le concept était le même : une immense école dans un archipel d’une centaines d’îles qui auraient pu être le reste de l’Angleterre après la montée de eaux. Ma propre recherche sera utilisée dans le tome 6 de Golden City. D’ailleurs mon meilleur travail se situe sur le tome 6, Jessica, recherche, dessin, mise en scène, ambiance, cadrage, j’adore cet album ! Et la mise en couleurs de Pierre Schelle et Stéphane Rosa est superbe. Depuis le tome 7, je ne communique plus avec le scénariste. Je reçois son texte et je réalise recherches, story boards et les planches, avec un suivi sur la mise en couleur.
Avec le temps, est-ce que votre technique de dessin a évolué, ou décomposez-vous différemment les étapes du travail ?
Mon style ne bouge pas : je reste dans cette ligne claire précise. Il m’est arrivé sur certain album de dessiner un trait plus dépouillé en raison du temps très court de production que l’on me demandait. Mais avec les années, mon trait devient plus fin et j’ai tendance à aller vers plus de détails.
J’avais l’habitude sur les premiers Golden City de travailler par tranche de 4 ou 6 planches que je mettais en scène et dessinais dans la foulée, car le scénariste m’envoyait les textes au fur et à mesure. Depuis deux albums, recevant les textes de l’album en une seule fois, je commence par préparer tous les storyboards et les recherches avant d’attaquer la première page en dessin. Cela est aussi le cas pour Cézembre.
Est-ce ainsi que vous qualifiez votre dessin : une ligne claire avec un soin particulier dans le design ? Quelles sont vos références qui vous stimulent ?
Enfant, j’ai appris à dessiner en lisant Les Tuniques Bleues. Et en découvrant le premier épisode de XIII dans le Journal de Spirou, j’ai été séduit par le trait réaliste de William Vance. Mon style s’est construit sur ces deux extrêmes. A l’époque, je créais une BD sur la guerre du Vietnam, conflit qui me passionnait. J’ai dessiné beaucoup d’hélicoptères, des avions, des uniformes et des armes. J’ai toujours eu ce soin au détail et à la justesse du trait et je travaille encore mon dessin dans ce sens. Ces designs précis et épurés donne ce style semi-réaliste. En fait je cherche à dessiner des formes justes et belles à l’œil, ce qui n’est pas toujours évident. En tout cas, je tente de m’en rapprocher. Je porte également un soin particulier à travailler l’anatomie. Pendant plusieurs années, j’ai participé à des séances de modèles vivants pour affuter mon œil. Me confronter à la difficulté du dessin de nu permet de crayonner plus vite et avoir une meilleure appréciation des volumes du corps. Une base essentielle pour dessiner les personnages en mouvement.
Une grande force se dégage de vos personnages. Est-ce que vous travaillez beaucoup vos études et vos poses, ou sentez-vous naturellement la transposition du scénario ?
Il y a des personnages que l’on va trouver immédiatement en un rough et d’autres qui demanderont une gestation plus longue. Ce qui est important, c’est cette culture de l’image et de l’observation dans laquelle on puise nos idées. Je regarde beaucoup de films, de séries et de documentaires. Je suis à l’affut de la moindre originalité qui m’entoure.
On comprend que la mise en couleurs est particulièrement importante pour mettre votre dessin en valeur, et pour jouer sur les volumes. Comme se réalise votre collaboration à ce niveau-là ?
La ligne claire s’adapte à tous les styles de mise en couleurs : aplats, couleurs délavées, aquarelle ou couleurs informatiques. Mais pour un univers d’anticipation, il est nécessaire d’accentuer le coté réaliste de l’image. Sur les planches de Golden City, j’envoie aux coloristes une page d’indication. C’est parfois succinct. J’indique des positions de lumière, je détaille un design de costume ou de véhicule, je donne des références d’ambiance, je précise les avant-plans. Les deux coloristes, Pierre Schelle & Stéphane Rosa, ont une colorisation soignée et efficace (Pierre travaille seul depuis le tome 7). Mais comme mon dessin peut être compliqué, voire très compliqué, il m’arrive de leur demander des corrections sur un bout uniforme qui manque ou autre. Toujours ce besoin de justesse !
Il n’est pas courant qu’un dessinateur atteigne une telle renommée lors de ses tous premiers albums. Comment avez-vous géré cela ?
J’aurais tendance à vous dire : normalement. J’ai surtout été très soulagé de voir l’intérêt croissant des lecteurs et des libraires pour le premier tome de Golden City, n’ayant rien publié auparavant. Après, tout s’enchaîne : travail sur les recherches et les planches de l’album suivant, séances de dédicaces, produits dérivés... C’est l’euphorie dans le travail. À chaque album, c’est un bouclage intense, ainsi qu’un intérêt du public et des professionnels grandissant. C’est merveilleux. Mais lorsqu’on est jeune dessinateur, la gestion de cette pression est difficile album après album. Chacun réagit selon son caractère. Et il y a un revers à cette médaille, que seul, l’auteur supporte. Aujourd’hui, je fais très attention à équilibrer mon temps de travail et de repos.
En 2012, Vous avez réalisé en solo le premier tome de votre diptyque Cézembre. Vouliez-vous changer d’atmosphère par rapport à Golden City ou vouliez-vous vous lancer dans la réalisation en solo d’un scénario ?
Enfant, j’ai commencé à dessiner des BD pour raconter des histoires. Après le tome 7 de Golden City, j’ai eu le besoin et l’envie de retrouver ce plaisir « originel ».
Avez-vous abordé la thématique historique de Cézembre par opposition à Golden City ? Ou parce que vous avez une affinité particulière pour cette époque ?
Après dix ans de travail sur Golden City, je souhaitais explorer d’autre thème que l’anticipation. Je suis passionné par ces périodes terribles de conflit comme la Guerre de Sécession, la Guerre du Vietnam ou la Deuxième Guerre mondiale. Dès le départ, j’ai eu envie inscrire mon histoire dans un lieu épique et beau, Saint Malo en l’occurrence, pour offrir aux lecteurs un voyage fabuleux. J’ai aussi choisi cette cité par affinité personnelle.
L’idée des quatre amis vous semblait-elle intéressante pour multiplier les points de vue sur cette période troublée ?
Cette petite bande d’ados est le reflet des convictions, des peurs, de l’action ou de l’inaction des Français de l’Occupation. Ewan est resté en retrait pendant la guerre, meurtri par la mort de son père tué par les Allemands. Il est protégé par son grand-père qui, lui, agit dans l’ombre pour la Résistance en faisant du renseignement pour les Alliés. Corentin a été nourri par le discours de son père communiste. Il a une rage au cœur et, malgré son jeune âge, il est prêt à lutter et à convertir ses amis. Bastien, le collabo, banni de Saint-Malo, revient dans sa ville natale en mission pour les SS. Ce personnage me permet de traiter de la particularité de la collaboration en Bretagne. Il reste Maxime… Mais c’est un personnage que l’on découvrira dans le tome 2 de Cézembre.
Lorsqu’on est son propre scénariste, se donne-t-on plus de place pour le graphisme ? Découpe-t-on différemment ?
C’est difficile à dire. Je pense surtout au rythme de l’histoire et au mouvement lors de mon découpage.
Vous semblez également réaliser actuellement beaucoup d’illustrations : quel plaisir cela vous procure-t-il par rapport à la bande dessinée ?
C’est une forme d’évasion par rapport à mon quotidien. Certaines me permettent de me « chauffer » le cerveau avant de travailler. D’autres sont des recherches pour de nouvelles histoires ou plus souvent pour le plaisir…
Appréciez-vous changer de support et de technique pour faire varier les effets ?
J’apprécie de dessiner sur du bristol. Mais régulièrement, je teste de nouveaux papiers. Cela dépend de ce que je veux faire : esquisse grossière, crayonné, lavis, aquarelle, acrylique… J’esquisse mes dessins à la mine bleue et je finalise le trait avec une mine de crayon graphite classique. Le rendu est similaire à l ‘encrage. Cette méthode est moins agressive pour mon poignet. L’aspect encré du dessin est fait à partir de Photoshop. Par exemple, les planches de Golden City conservent ce trait encré gras, tandis que les planches de Cézembre restent charbonneuses. Alors que la finition du dessin est la même.
Le fait de réaliser un sketchbook avec Comix Buro vous permet-elle de montrer une autre facette de votre personnalité, alors que ce sont plus des illustrations finalisées que vous avez rassemblées dans Blue Adventures ?
Dès le départ, j’ai séparé mes travaux pour que chaque livre ait son identité. L’Artbook Blue Adventures est le condensé de tous mes travaux publiés, avec une part importante sur Golden City. Une grande partie rassemble ce travail de produit dérivé que j’ai réalisé sur les 7 premiers albums et quelques travaux préparatoires. Le sketchbook de Comix Buro regroupe des croquis de modèles vivants, des crayonnés de pin up, quelques travaux récents d’illustrations qui complètent mon champ d’activité.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Le fait de ressentir du plaisir dans votre travail est-il important au quotidien ?
Le tome 11 de Golden City, je réalise en ce moment, la couverture de cet album.
Chaque jour, j’ai la satisfaction du travail accompli. Ressentir du plaisir n’est pas une nécessité. Quand cela arrive, c’est souvent sur le dessin d’une recherche de perso ou d’une illustration.
Propos recueillis par Charles-Louis Detournay
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Exposition/Vente : Nicolas Malfin Golden City jusqu’au 17 mai 2015 à la Galerie Bruxelles-Paris
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Lundi et mardi : sur rendez-vous
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Le Sketchbook de Malfin sur le site de Comix Buro
Dans le même univers, lire nos autres articles :
Cézembre (première partie)
Nos chroniques de Golden City : tomes 6, 7 et 8.
Une "plongée" dans les univers de Pecqueur avec des réactions du scénariste : Les enfants perdus de Daniel Pecqueur
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Toutes les photos sont (c) CL Detournay sauf le médaillon (Jérôme Fievet).
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