Que les amateurs de trash passent leur chemin : dans cet album, il n’est pas question des motivations suicidaires du pilote, et l’on n’y voit ni carlingue détruite ni corps déchiquetés. Si l’issue tragique du vol de la Germanswings est en arrière-plan du récit, celui-ci se centre sur la vie des individus disparus à cause de la folie d’un homme. Tous avaient une raison de se rendre de Barcelone à Düsseldorf, et tous étaient traversés par une palette de sentiments : à travers quatre récits croisés, Lorenzo Coltellacci restitue les envies, les passions, les doutes et les projets de celles et ceux qui s’apprêtent à embarquer.
On suit ainsi Juana, qui partage avec sa mère son anxiété à l’idée de rejoindre son ex-mari violent pour la garde de sa fille ; Roberto et Ana, couple en sursis, qui tente de raviver la flamme en se rendant là où tout a commencé pour eux deux ; Mark, en proie à une forme de rancune à l’égard de son père ; et Leya, une femme qu’un amour tardif a replongé dans des envies qu’elle imaginait ne plus avoir.
La force de l’album est d’évoquer une tragédie à rebours de ses conséquences, en se penchant en amont sur ce qu’on sait qui va disparaître. C’est d’ailleurs la conscience de trajectoires de vie, très diverses, brisées dans leur élan, qui constitue une catastrophe, au-delà de son côté « spectaculaire ». Savoir que les personnages courent inéluctablement vers leur mort (quoique... Le récit réserve quelques surprises) renforce la profondeur d’émotions et de quotidiens a priori bien ordinaires.
Au dessin, le trait coloré de Davide Aurilia propose une belle couverture sur laquelle on retrouve tous les protagonistes de l’histoire. De nombreux passages sans texte et moins découpés permettent de se plonger dans le regard des personnages et de sonder les émotions qui animent leur vie. Vie qui, on l’aura compris, est au cœur de ce récit.
(par Damien Boone)
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