L’adaptation du Petit Prince de Saint-Exupéry est un sacré défi. Vous avez dû avoir très peur…
Oui, mais quand tu as peur, tu ne peux pas travailler. J’ai eu peur au début, tant que je n’avais pas accepté. Une fois que tu as accepté, tu te dis que tu vas vivre un an avec cela dans ta vie, tu essaies de ne pas te ridiculiser, et voilà tout . En plus, je trouve qu’il y a souvent une mauvaise lecture du Petit Prince. Il y a des gens qui disent que c’est mièvre ou enfantin alors que, quand on entre dans le texte, c’est vraiment mélancolique, vraiment triste… Je trouve cela poignant à lire. J’ai essayé de ne pas dissimuler les émotions que ça suscitait chez moi sans avoir l’air idiot. Alors, ce genre de choses, on le fait ou on ne le fait pas. Si tu acceptes, tu y vas !
Vous avez évoqué en conférence de presse une narration à la japonaise. Est-ce à dire que vous avez effacé l’ellipse ?
Presque. Parce que ce n’est pas mon texte. C’est raconté de manière très littéraire : un petit garçon ne parlerait jamais comme le Petit Prince. Comme j’ai pris le parti de ne pas changer le texte, cela impose une narration qui est beaucoup plus lente, plus déliée, plus contemplative, et où il y a plus de pathos que dans ce que je fais d’habitude. Là aussi, je ne pouvais pas le faire à moitié, m’en tirer par une pirouette au moment où tout le monde est en larmes. Alors j’y vais ! Il y a plein d’auteurs de mangas qui n’hésitent pas à y aller quand un personnage pleure. Je fais de même, mais avec des choix qui peuvent surprendre. Par exemple, vous ne verrez pas le Petit Prince piqué par le serpent mais le visage de Saint Exupéry pendant cette séquence.
Tout est centré sur Saint-Exupéry qui devient un personnage à part entière ?
Non. Tout est mis en dialogues. Je mets en scène les personnages qui parlent. Dans le livre, c’est évident qu’ils sont deux en train de parler sauf que Saint-Exupéry ne dessine que le Petit Prince puisqu’il est en vue subjective. Moi, je passe à un mode objectif : je les montre tous les deux. Je ne change pas le texte, je change juste l’angle de vue.
Comme dans un making of ?
Non, non. Ca raconte les choses très simplement, on n’a pas besoin de réfléchir. Au lieu d’être dans les yeux de Saint-Ex, on regarde Saint-Ex et le Petit Prince en train de converser.
C’est une réflexion sur la création littéraire ?
Non, c’est très simple. J’aime bien la manière dont les Japonais abordent Le Petit Prince. C’est un livre qu’ils aiment beaucoup. Pour eux, c’est un livre de sagesse. C’est une situation contemplative. On pose les personnages et les choses et on voit ce qui se passe entre eux, c’est tout.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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« Le Petit Prince » de Joann Sfar d’après Antoine de Saint-Exupéry © Gallimard Jeunesse. En librairie à partir su mois de septembre et dans Télérama à partir du 25 juin 2008.
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