En à peine deux ans, Herik Hanna a fait son trou dans le paysage des scénaristes français. Découvert en 2010 avec L’héritage du Kaiser, le tome 6 de la série Le Casse, il enchaîne avec Sept détectives et Void 01, le tome 3 de la série La Grande Évasion, sorti en octobre. L’année 2013 sera tout aussi prolifique avec dès janvier la sortie du tome 1 de Badass, la série qui inaugure une nouvelle collection chez Delcourt. Il est donc grand temps de faire connaissance avec ce nouveau visage de l’écriture de bande dessinée.
Comment s’est passé le chemin jusqu’à Delcourt ? Fut-il droit ou sinueux ?
Sinueux. J’ai mis 12 ans pour faire ce métier. J’ai fait plein de petits boulots entre-temps. Et puis en 2005, Enrico Marini a très gentiment accepté de lire un de mes scénarios. Et puis un peu plus tard, on se retrouve à Angoulême. Il se souvient de moi et de mon scénario. Et Fred Blanchard est là et il essaye de lire ce que je fais. C’est un polar qui s’appelle Stark. Fred lit le scénario et l’apprécie. Pour des questions éditoriales, il ne peut pas s’atteler à Stark et il passe le bébé à David Chauvel qui me met le pied à l’étrier avec Le Casse. Ce sont un peu mes trois parrains dans le métier.
Les polars L’héritage du Kaizer (de la série Le Casse) et 7 Détectives pour commencer... L’actualité qui arrive, c’est de la science-fiction. Ce sont vos genres de prédilection ?
Ce sont deux genres que j’adore. Il n’y a pas vraiment d’auteurs précis qui m’ont influencé, je dirais que c’est plutôt la volonté de m’émanciper d’eux qui me motive. J’ai une formule pour définir un peu mes motivations : j’essaye d’entrer dans une maison que tout le monde connaît par une fenêtre que personne n’a jamais ouverte. C’est un peu gonflé, un peu prétentieux, mais c’est ce que j’essaye de faire. Quand on lit L’héritage du Kaizer, on voit bien le Kurt Russell de New York 1997 caché derrière le major. Quand on lit Void 01, je suppose qu’on voit un peu d’Alien ou de Dead Space, pour les joueurs de jeux vidéo. L’intérêt, c’est d’avoir des clins d’œil, des influences, mais d’avoir des personnages propres et originaux. Essayer de créer son univers, être guidé par les personnages et leur faire confiance.
En ce qui concerne La Grande Évasion, quelles étaient les consignes ?
Il y a certaines collections où il y a un sous-titre spécialement pour les auteurs. Pour la série 7, le sous-titre c’est « 7 personnages ont une mission à accomplir ». Pour La Grande Évasion, c’était plutôt libre. Mon problème principal, c’était un peu le même que pour Le Casse : Je voyais Mélodie en sous-sol et Heat et ça ne me plaisait pas trop de prêcher l’évidence. Je me doutais que certaines équipes de la collection seraient tentées. Donc, pour me différencier un peu, je suis parti complètement à l’envers. Les lecteurs savaient qu’ils allaient acheter un casse, ils étaient déjà conditionnés. Je n’étais pas obligé de rappeler que c’était un casse. Aux 2/3 de l’album, vous pouvez d’ailleurs toujours vous demander quand il va arriver. J’ai joué de cette attente.
Pour La Grande Évasion, l’univers carcéral où les prisonniers courent avec des chaines dans des champs ne me parlait pas trop non plus. Tout comme l’image que j’avais de Steve McQueen qui saute les barbelés avec sa moto. Je suis revenu à la base, c’est-à-dire au mot “évasion”. Je me suis dit que l’évasion, ce n’est pas seulement celle d’un prisonnier, c’est aussi l’aventure, le slogan publicitaire « évadez-vous ! », l’évasion de soi. Et l’espace se prêtait bien à ça puisque c’est la grande évasion qui attend encore l’homme. L’immensité et l’humain.
Effectivement, dans cette histoire, il y a la prison physique et l’aliénation mentale. Vous n’avez pas voulu rester dans quelque chose de purement « aventure » : Il y a deux niveaux d’intrigue.
Je suis un peu abonné aux doubles effets. Dans Le Casse, il y avait une chute et puis la fin. Dans 7 détectives, il y avait plusieurs fins. Pour Void 01, j’ai essayé de jouer avec ça. Pour ceux qui veulent chercher, une partie de la chute est révélée relativement tôt. Il y a une page qui donne un gros indice. Et ensuite, il y a un peu un jeu de dupes avec le lecteur qui a vu ça. Est-ce que c’est aussi évident ? Est-ce que c’est vraiment là où je veux aller ? Et quand la réponse est donnée, il y a une seconde chute en réserve. C’est un pari.
Ça m’a rappelé aussi un format d’histoires courtes de Métal Hurlant ou encore des épisodes de La Quatrième Dimension.
Oui, c’est un peu ça. Je voulais voir ce que ça donnait en 46 pages, format classique que je n’avais jamais utilisé. Le rythme d’une histoire complète en si peu de pages. Je travaille plutôt sur 54 ou 62 pages. Mais je ne suis plus obnubilé par le format. Quand j’essayais de percer, je faisais beaucoup de scènes en avance. Depuis quelques années, j’ai le flash de la première page, et puis je laisse les personnages bosser jusqu’à la fin. Maintenant, je fais confiance aux personnages.
Donc, vous ne faites pas comme la plupart des scénaristes un plan bien précis.
Il m’arrive de faire une pagination quand j’en suis aux dernières pages, pour bien retomber sur mes pieds. Sur tout l’album, non, parce que ça me gâche un peu le plaisir. Ça gâche aussi l’improvisation que les personnages amènent eux-mêmes. Quand deux personnages se rencontrent dans une scène, vous y pensez la veille, et vous vous dites « ça se passera comme ça ». Et quand vous êtes sur le travail, il y a de la spontanéité qui vient, des remarques, une blague qui envoie sur autre chose. C’est plus vivant. Et ça me donne plus de plaisir.
C’est important tout de même de connaître la chute, de ne pas partir dans l’improvisation totale.
Vous avez le point de départ, vous avez l’arrivée. Après, en amont, il faut connaître ses personnages principaux et les aimer.
Et est-ce que ça peut aller dans une impasse ?
Ça arrive et ça fait mal. J’en reviens au flash de la première page. En fait, je découvre l’histoire comme le lecteur va la découvrir. Cette première scène me envie d’écrire la suite. En ouvrant l’album, le lecteur va découvrir l’idée telle que moi je l’ai reçue. C’est la première scène qui m’interpelle, qui m’accroche. Si ça marche pour moi, j’espère que ça marche aussi pour lui. Mais parfois, une bonne première scène ne fait pas une bonne histoire. Et c’est là où ça fait mal, parce qu’on est obligé de détricoter jusqu’à la première scène.
Dans Void 01, le découpage est très « comics ». Est-ce que c’était pour s’adapter au dessinateur Sean Phillips ?
En fait, l’album est un peu hybride. Il y a un peu plus de cases qu’un comics. Après, c’est Sean Phillips qui a fait le découpage à son goût, c’est-à-dire plus vers le comics.
En parlant de comics justement, Delcourt lance en début d’année prochaine la collection Comics Fabric dont vous êtes le premier contributeur. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
En fait, c’est Badass qui est à l’origine de la collection. David Chauvel connaissait mon amour du comics depuis longtemps. Et dans un échange de mails, il m’a dit que si je voulais m’y coller, Delcourt pourrait me suivre et avoir un format américain, ici en France. C’était un coup de poker, mais David m’a dit que s’ils étaient satisfaits du scénario, ce serait OK. Le premier tome a plu, et c’était parti. J’ai écrit les quatre tomes d’affilée. Du coup, on savait qu’on avait une série principale. Et ensuite, David a eu des projets dans ce format-là qui ont afflué. Et donc la collection est née.
Le cahier des charges, c’est du comics de super-héros ?
Pas forcément. Pour 2014, avec Redec, on a un projet qui s’appelle Blind Dog Rhapsody et qui est une parodie de shonen. Un peu ce qu’on fait avec Badass, mais dans l’univers du manga.
Et ça va rentrer dans cette collection ?
Oui, parce que c’est un format comics. Mais je crois qu’il y a d’autres séries de super-héros qui attendent. Tout ça sera publié dans le format Hellboy.
Ce sont des “comics à la française”, donc. Pourtant, dans Badass, l’action se déroule aux États-Unis. Pourquoi garder ce genre d’attache géographique ?
David m’a dit : « Fais ce que tu veux avec 70 ans de comics américains ». Il me semblait évident que l’exercice de style devait correspondre aux codes et s’en émanciper par notre patte. Je devais donc respecter le cahier des charges, c’est-à-dire le pays, la langue, la culture et la forme. Respecter la forme, ça permet la parodie, l’hommage, le clin d’œil.
Effectivement, le parti-pris de Badass, c’est la parodie et l’humour. Vous n’avez pas eu envie de faire une histoire au premier degré ?
Je ne me suis pas posé la question. J’ai eu l’horrible flash de cette première page (rires) et ça donnait le ton. Il y a un personnage, une envie, un cadre, une possibilité. On fonce et on se fait plaisir. Peut-être que le fait que les trois albums que j’avais sortis auparavant a joué, ils étaient dans le respect du libellé, plus sérieux. Là, j’avais une entière liberté.
Il y a dans l’histoire un rôle important pour les “bombes sexuelles” des années 1970. C’était obligatoire ?
Oui, carrément. On en a découvert de belles avec Bruno Bessadi [le dessinateur de l’album]. Elles étaient moins pudiques qu’aujourd’hui les stars. C’était un plaisir de redécouvrir toute cette période.
Ce petit côté sexy n’est pas forcément la règle dans les histoires de super-héros...
C’est encore un clin d’œil, souvent pour servir une absurdité ou un propos humoristique. On s’émancipe un petit peu.
Les personnages principaux et les intrigues, que ce soit pour Badass ou Void 01, ne sont pas particulièrement morales. C’est un goût particulier pour la transgression ?
Non, c’est juste que les auteurs sont tous un peu des psychopathes (rires). Non, l’intérêt, c’était d’aller voir du côté de ceux qui n’ont pas cette lucidité, cette civilité, cette bienveillance, et qui basculent. C’est intéressant parce qu’ils peuvent basculer de plein de manières différentes. Et d’ailleurs, ça ne se passe pas toujours bien pour eux. C’est intéressant de les savoir en danger.
Pour terminer, quels sont vos prochains projets ?
La sortie de Badass en janvier, puis les tomes suivants. Blind Dog Rhapsody, avec Redec en 2014. Ensuite, un projet secret. Toujours chez Delcourt, la suite de 7 détectives avec un tome pour chaque personnage, avec Sylvain Guinebaud au dessin. Et puis chez Dargaud, le scénario du tome 4 de WW2.2.
(par Thierry Lemaire)
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