En cinq ans, cinq rédacteurs en chef se sont succédés : Thierry Tinlot, Patrick Pinchart, Olivier Van Vaerenbergh, Sergio Honorez – rédacteur en chef ad interim- et vous-même. Il a été mis en place trois nouvelles formules dans cette période… Dans quel état avez-vous trouvé le journal en arrivant ?
Il est logique que lorsqu’une nouvelle personne arrive aux commandes d’un journal, il travaille sur sa refonte. Je ne crois pas qu’il y ait déjà eu un rédacteur en chef de Spirou qui se soit déjà bien senti dans la formule de son prédécesseur. Les éditions Dupuis ont traversé une période de turbulence, et le directeur général, le directeur éditorial et le rédacteur en chef de l’hebdomadaire ont été changé. Nous formons aujourd’hui une équipe soudée et travaillons en confiance. Ce n’était sans doute pas le cas pour mon prédécesseur, Olivier Van Vaerenbergh, qui a connu différents directeurs généraux et éditoriaux. Cela a du être difficile pour lui de tenir le coup dans tout ce remue-ménage. Je suis arrivé au bon moment…
Ces trois nouvelles formules successives ne sont pas les conséquences de l’état de la presse, qui est fragile ?
L’état de la presse est effectivement fragile. Internet fournit du dépaysement gratuitement. On peut télécharger des films ou de la musique. Les principaux journaux d’information proposent une sélection d’articles sur leur site. Aujourd’hui, il est presque insolite d’acheter quelque chose pour se délasser. Nous devons trouver un moyen d’exister dans cette offre foisonnante.
Contrairement à ses concurrents, Spirou a une ligne éditoriale axée vers le tout public. Ce qui n’est pas le cas de Tchô, de Pif ou les publications des groupes Bayard et Milan. Ils visent tous les enfants ! L’un de mes premiers objectifs, en arrivant à la tête du journal, était de recentrer la ligne éditoriale vers le tout public. Le contenu du journal prêtait à la confusion : À côté de récits destinés aux gamins de six ans, on pouvait lire des histoires orientées pour les amateurs de BD indépendantes. Les gens se demandaient à qui était destiné Spirou. Les auteurs également. Ils ne se sentaient plus concernés par le journal. Morris, Peyo et Franquin formaient une famille d’auteur. Ils se préoccupaient de leur journal. Pourquoi ne pas recréer une nouvelle famille autour de Spirou ?
Une nouvelle famille ? Est-ce que cela veut dire que l’on oublie les anciens ?
Pas du tout ! Cela ne m’a jamais traversé l’esprit. Regardez l’historique du journal : vous constaterez que de nouvelles générations arrivent régulièrement dans Spirou. Lorsqu’Alain De Kuyssche est devenu rédacteur en chef, il a découvert différents talents : Frank Pé, Bernard Yslaire, Yann & Conrad, etc. Le journal a toujours été le reflet de son temps. Cela implique l’arrivée de nouveaux auteurs. Il faut également tenir compte de l’histoire du journal, de son esprit. Il doit y avoir une cohésion autour du journal, plutôt qu’une fracture. La nouvelle génération apportera un nouveau souffle à Spirou.
Regardez les couvertures qu’Hugo Piette a réalisées pour les 70 ans du journal. Cet auteur a travaillé notamment pour Capsule Cosmique. Il est talentueux. Ses dessins sont sublimes. Ce type de graphisme fait référence aux années cinquante, tout en étant excessivement moderne. La voiture de l’année est la nouvelle Fiat 500. Ses courbes ont été redessinées, mais font clairement référence aux années ’60. On assiste à un « ré-accouchement » des précédentes décennies dans la mode ou la musique. Les décennies qui ont suivi l’après-guerre ont fortement marqué leurs époques. On assiste aujourd’hui à un retour vers le passé dans de nombreux domaines. Dans des programmes télévisés tels que la Star Academy, les chanteurs interprètent souvent les musiques des années ’50, ’60 ou ’70. La "réinterprétation" du passé est donc très contemporaine ! Regardez le Spirou d’Émile Bravo ! L’intelligence de ton, la vivacité et l’ingéniosité de cette histoire est tout à fait dans l’ère du temps…
Vous avez puisé certaines idées dans le riche passé du journal. Le logo, par exemple, est aussi « vintage » qu’épuré…
Oui. Des artistes américains réputés font aujourd’hui ce type de logo. Ses lignes sont très actuelles, tout en ressemblant à ceux des années ’60. Je pense au fameux logo du journal qu’avait dessiné Jean Roba. Le logo devait tenir compte de l’identité actuelle du journal, sans oublier son passé. Bien qu’il ait été dessiné de manière contemporaine, on sent à travers ce logo les heures glorieuses de Spirou.
Il est accompagné d’un dessin d’animation, qui fait office de bande annonce…
Vous avez rassemblé certaines rubriques en une seule …
Certaines rubriques vont s’améliorer au fil des mois. Je n’ai pas encore pu régler tous les problèmes. J’ai dû remettre à plat tout l’hebdomadaire, et il me manquait un mois pour peaufiner la nouvelle maquette. Certaines rubriques vont encore s’améliorer.
Vous publiez actuellement le troisième tome de Seuls par tranche de onze planches. Ce rythme va-t-il rester ? Il rappelle celui de l’ère Vandooren au milieu des années ’80…
Oui. Mais lorsque Philippe Vandooren était rédacteur en chef, il publiait onze planches de trois récits différents par numéro. Ce qui laissait très peu de place pour le reste. Si bien que les lecteurs avaient l’impression que le journal manquait de contenu. Nous n’en publierons pas autant à la fois.
Aujourd’hui, le journal débute sur les onze planches du récit à suivre. Le sommaire est complet jusqu’en 2009 pour ce type d’histoire.
Auparavant, le magazine Spirou publiait ces histoires par tranches de six planches. Le lecteur n’avait jamais le temps de s’installer dans le récit. Avec la formule actuelle, il aura envie de connaître la suite après la onzième planche. Et en quatre numéros, il aura eu l’histoire complète entre les mains. A l’ère du manga et du feuilleton télévisé, c’était plutôt incongru de continuer à publier les récits de 44 planches par tranche de six pages. J’ai reçu beaucoup de réactions positives d’auteurs par rapport à ce changement de rythme...
L’aspect laboratoire du journal sera-t-il préservé ?
Tout dépend par ce que vous appelez « l’aspect laboratoire ». Si c’est de publier des jeunes qui ne maîtrisent pas le métier, je peux vous répondre clairement : c’est fini ! Cela avait du sens de les publier dans les années ’50, car il y avait très peu d’auteurs de BD. Mais aujourd’hui, nous regorgeons d’auteurs talentueux. Si vous pensez que le côté laboratoire du journal est d’intégrer des auteurs qui ne sont pas connus et de nouvelles séries, alors je vous répondrai par l’affirmative. Nous préparons une dizaine de projets nouveaux. Tous réalisés par des auteurs qui ont atteint un niveau professionnel. Michael Sterckeman a, par exemple, publié chez Atrabile. Il vient de publier dans Spirou. Émile Bravo apprécie beaucoup son travail. Il y a une filiation artistique qui les unit…
La publication du fonds Dupuis va-t-il continuer dans l’hebdomadaire ? Certains chefs d’œuvres avaient même été re-coloriés pour les besoins de la publication…
Je préfère susciter le désir de se replonger dans ces œuvres, plutôt que de les montrer. Gaston Lagaffe n’est plus un témoin de notre époque ! En publiant ce type de série, nous ne faisons plaisir qu’aux nostalgiques. Un Gil Jourdan remis en couleur n’a ni la saveur d’hier, ni celle d’aujourd’hui. Cette série est ancrée dans les années 60. En remettant en couleur des albums de cette série, on arriverait un résultat hybride. Par contre, nous avons créé la rubrique « Les Aventures d’un Journal », qui reviendra chaque semaine. Différents intervenants, journalistes ou anciens rédacteurs en chef de Spirou, se pencheront sur un numéro de l’hebdomadaire. Ainsi Hugues Dayez, Alain De Kuyssche ou Thierry Tinlot nous raconteront l’histoire du journal…
Cette rubrique sera accompagnée d’un strip réalisé par Yann & Simon Léturgie. Il a amené le sujet dans deux pages que nous avons déjà publiées. Il ne m’y ménage pas ! Ces planches sont incisives et jouissives.
Vous vous êtes adjoint la complicité d’un ancien rédacteur en chef, Alain De Kuyssche…
Oui. Alain fut le premier rédacteur en chef de Spirou que j’ai rencontré. Bernard Yslaire m’a emmené le voir à la rédaction lorsque j’avais quatorze ans. Alain est homme talentueux, bourré d’humour, fin et intelligent. Bref, toutes les qualités que j’aimerais voir dans le journal.
Le prix de vente du journal n’a pas bougé, pourtant il comporte moins de pages…
Mais le journal contiendra, chaque semaine, un supplément. Le premier supplément, édité pour les 70 ans, contient 36 pages et a coûté bien plus cher à fabriquer que les 16 pages que nous avons supprimées ! Nous nous sommes aperçu qu’il était impossible de réaliser des numéros de qualité contenant 68 pages de BD. Personne n’y arrive ! Même Mickey. Ces derniers piochent à droite et à gauche pour rajouter du contenu à leur journal. Spirou ressemblait à du vin dilué dans de l’eau. L’ancienne formule n’était pas acceptée par les lecteurs et les auteurs. Pour compenser les seize pages manquantes, nous allons offrir des suppléments : des cartes-postales, des pop-ups, des flip-books, des mini-récits. Nous devrons nous creuser les méninges chaque semaine pour trouver une nouvelle idée ! En mai, nous publierons un mini-récit réalisé par Lewis Trondheim. Il y en aura d’autres qui suivront…
La nouvelle formule de Spirou contient peut être 16 pages de moins, mais le contenu sera beaucoup plus dense. Les abonnés recevront le supplément. Et une fois par mois, les lecteurs qui achètent le journal en kiosque, en recevront également un.
Planchez-vous sur un supplément du type du Trombone Illustré ?
Oui, entre beaucoup d¹autres choses. Il faut
que ça foisonne ! Nous essayons de développer des univers avec les auteurs. Ils ont souvent envie de créer des choses différentes. On leur offre la possibilité de s’aérer, plutôt que d’aligner les planches jour après jour. Nous leur proposons d’autres formats, qui amèneront sûrement d’autres idées. Ces suppléments éveilleront leur créativité…
Dupuis ne réalise pas d’économie : L’impression d’un supplément et l’encartage coûtent autant que les seize pages supprimées. Et puis, il nous est impossible de réduire le prix du journal : il faudrait contacter les abonnés un à un, et les rembourser au prorata…
On a compensé en augmentant le grammage du papier, et en créant ces suppléments. Et puis, n’oubliez pas que le journal de Spirou a eu une pagination de 52 pages pendant 50 ans ! Nous revenons donc au format historique du journal.
Le mot de la fin ?
Beaucoup de collectionneurs auraient voulu que nous sortions un numéro de cent pages pour les 70 ans du magazine. Je suis arrivé trop tard à la tête de Spirou pour pouvoir réaliser un numéro de cette ampleur. Nous allons nous rattraper en sortant deux numéros de cent pages cette année : l’un pour les vacances et l’autre pour les fêtes de fin d’année.
Nous retrouverons prochainement les Tuniques Bleues et Ingmar dans le journal Spirou. Ces prochains mois seront également marqués par le retour de Gully. Makyo et Dodier nous ont concocté un nouvel épisode de ses aventures…
(par Nicolas Anspach)
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Photo (c) Jannin
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