Comment est venue cette idée d’adapter Agatha Christie en bandes dessinées ?
Sans raconter toute l’histoire en détails, on peut dire que c’est dû à une rencontre avec la fille d’Agatha Christie, Rosalind, à qui je demandais timidement -parce que c’était un personnage intimidant à tout point de vue- si elle trouverait intéressant que l’on adapte en bandes dessinées les romans de sa maman. Connaissant les Anglais qui ne sont absolument pas intéressés par la bande dessinée et pour qui c’est un truc invraisemblable, je ne me faisais pas d’illusion. Et d’un seul coup, elle m’a dit en français, puisque le mot n’existe pas en anglais : « Bande dessinée ? C’est génial ! » J’avoue que j’en étais le premier surpris. Et de fil en aiguille, elle a accepté et les droits ont été négociés. Entre-temps, tous les droits d’Agatha Christie ont été revendus par ses héritiers au groupe Chorion qui gère les choses maintenant et qui, pour le coup, est intéressé par tout ce qui peut faire connaître l’œuvre.
Pour le public, quel est l’intérêt de lire une BD d’Agatha Christie plutôt qu’un de ses romans ?
Pour être franc, j’ai toujours trouvé que c’était une idée étrange qui pouvait être considérée comme un appauvrissement du roman. Et dans les faits, je trouve des gens qui découvrent les romans de Christie sous cette forme-là qui n’a rien à voir avec l’original, parce que les textes ne sont pas forcément du pur Christie, l’adaptation étant ce qu’elle est, et qui me disent : « Tiens, cela m’a donné envie envie de lire (ou de relire) le roman. » De toute façon, la bande dessinée draine un lectorat extrêmement important qui n’est pas forcément lecteur de romans. C’est vrai pour toute la littérature populaire, même pour un auteur aussi connu qu’Agatha Christie.
Pour un spécialiste de Christie comme vous, ce doit être un crève-cœur d’élaguer le roman pour le réduire en un peu plus de quarante pages ?
C’est quelquefois éprouvant parce que l’on est obligé d’enlever beaucoup de choses qui sont intéressantes dans le roman mais qui sont impossibles à transposer en images. Il faut essayer de recouper le texte un peu méchamment quelquefois pour en garder, je ne dirais pas le meilleur, mais le plus exploitable. Quand j’ai adapté Dix Petits Nègres, j’ai été très surpris en regardant le livre au ralenti, en le relisant très lentement, de voir la mécanique et de me rendre compte que c’est une machine à captiver le lecteur. Il fallait parfois trancher dans le vif pour que cela reste vraisemblable. Ça a été pour moi le moyen de redécouvrir Christie autrement. Peut-être faudrait-il faire des albums de 100 pages, au format manga, pour redonner tout ce qui a dans le roman. Cela dit, cela dépend des livres et des périodes : ses premiers romans sont souvent assez touffus et très denses. Elle-même, si elle avait dû les réécrire plus tard dans sa vie -ce qu’elle n’a jamais fait, elle les aurait sûrement beaucoup modifiés.
C’est un auteur inusable ?
Sûrement. L’expérience, les ventes, le succès le montrent, même si une œuvre va être amenée un jour, doucement, à s’évanouir ou tout le moins à céder du terrain aux nouveaux arrivants. Mais comme il s’agit d’histoires qui ont de bonnes intrigues, avec des personnages qui, eux, n’ont pas beaucoup vieilli, dans le contexte d’un genre, le roman policier, qui est loin d’être en déclin, elle n’a jamais eu autant de succès. Elle reste en haut parce que c’est la reine du crime. Il lui arrive ce que l’on peut souhaiter de mieux pour une œuvre : de génération en génération, les parents disent aux enfants : « Ah, tu devrais lire Le Meurtre de Roger Ackroyd, je lisais cela lorsque j’avais ton âge. » C’est un miracle, comme pour Arsène Lupin, ces œuvres-là tiennent le coup vraiment longtemps.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : © Le Lombard - Rivière chez Mrs Tussaud’s. Photo : DR
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