C’est l’hiver ! Les habitants du Bosquet Joyeux profitent du beau temps pour s’aérer. Taboum teste la montgolfière de Flouzemaker. Ils aperçoivent un freux en fâcheuse posture. Fatigué par son voyage et gelé par les conditions climatiques, il dévisse et percute la couche de glace d’un lac. Il est porteur d’un message d’Anathème, l’ennemi de Sibylline et Taboum. Anathème est prisonnier, et victime d’expériences médicales. Sibylline décide d’aller le sauver, au risque de se plonger dans la gueule du loup !
André Taymans, pourquoi avez-vous songé à François Corteggiani pour écrire la dernière aventure de Sibylline, Traquenard à Saint-Florentin ?
AT : Je l’ai rencontré dans la galerie « Dessous du dessin », une galerie bruxelloise. Nous avons sympathisé, et il m’a proposé d’écrire un scénario pour Sibylline. Il assouvissait ainsi un vieux rêve. J’ai été contraint d’accepter, vu sa corpulence et surtout vu son origine corse (Rires).
FC : J’ai toujours été passionné par les univers développés par Raymond Macherot, que cela soit Chlorophylle, Sibylline ou encore Clifton. Cela m’amusait également de travailler avec André car j’apprécie son travail.
Était-ce aussi parce que la plupart des albums de cette série populaire contiennent un message ?
FC : Oh, non ! Les messages, je les laisse aux prophètes. Raymond Macherot a développé un monde riche, rempli de personnages sympathiques, et de second-couteaux qui sont bien souvent aussi intéressants que les personnages principaux. C’est un monde dans lequel il est agréable de se plonger et de puiser des éléments pour raconter des histoires.
En tant que créateur, votre travail d’écriture est-il le même lorsqu’il s’agit d’une reprise ?
FC : Tout à fait. L’essentiel est de raconter une histoire, que cela soit pour une reprise ou pour une création. Nous réalisons des bandes dessinées avant tout pour raconter unu histoire. Pour Sibylline, je me suis glissé dans des marionnettes, façonnées par un autre, pour les faire vivre. Mais le processus créatif reste le même …
André Taymans, vous lui avez laissé le champ libre …
AT : Oui. Le Retour de Chlorophylle est notre album préféré. Nous sommes sur la même longueur d’onde. La couverture de Traquenard à Saint-Florentin ressemble d’ailleurs à cet album de Raymond Macherot.
Vous recevez un découpage dessiné par François Corteggiani. Ceux-ci sont d’une grande précision. Nous vous sentez-vous pas muselé au point de vue graphique ?
AT : Pas du tout. Chaque collaboration apporte quelque chose de différent. Et de ce fait, on apprend toujours quelque chose de neuf sur notre métier en travaillant avec un autre auteur. Il est certain que si je m’étais chargé du scénario, je ne l’aurais pas construit de la même manière. Mais certaines scènes m’ont bluffé. C’était une collaboration enrichissante.
François Corteggiani, travaillez-vous toujours de la sorte. En remettant un découpage dessiné précis et fouillé à vos collaborateurs ?
FC : Oui. C’est ma manière de travailler. Et si je ne le fais pas, je m’emmerde ! La bande dessinée est avant tout un rapport entre le texte et l’image. Le découpage et le rythme ont une importance prédominante. Tous mes scénarios sont dessinés, que cela soit pour Pif, pour Sibylline ou pour la Jeunesse de Blueberry. Je le dis souvent à mes dessinateurs : il s’agit là de ma vision de l’histoire. Si le récit peut y gagner en efficacité, le dessinateur est libre de changer le découpage. Je m’en contrefiche de mon égo. Ce qui compte, c’est le livre ! Concernant Traquenard à Saint-Florentin, André a apporté très peu de changements à la mise en scène.
C’est vrai que votre découpage dessiné est quasiment publiable…
FC : Pour du comique peut-étre mais pas pour La Jeunesse de Blueberry, car je dessine dans un style « gros nez », et mon story-board ressemble donc plus aux Tuniques Bleues qu’à Blueberry. Je rajoute aussi des couleurs sur mon découpage. Cela me permet d’être dans l’ambiance, et d’être ainsi le lecteur de mon histoire.
Sibylline est un personnage populaire. Elle fait en quelque sorte partie de l’imaginaire collectif des lecteurs de BD du journal de Spirou des années 60 à 80. Cela ne devrait pas vous déplaire …
FC : Effectivement. J’ai beaucoup travaillé pour l’hebdo puis le mensuel Pif Gadget, qui s’est arrêté pour diverses raisons plus ou moins avouables. Le journal de Mickey a tout simplement arrété la publication de nouvelles créations par des auteurs européens. Je travaille encore pour Disney Hollande ou je fournis des gags de Dingo qui sont en grande parie dessinés par Daan Jippes, le rêve. C’est un type de bande dessinée que j’apprécie énormément ! Après 38 ans passé à inventer des histoires, je ne m’en lasse toujours pas !
N’êtes-vous pas frustré qu’une grande partie des lecteurs de BD ne connaisse pas cet aspect là de votre travail ?
FC : L’essentiel est de s’amuser, d’arriver à payer son loyer et de faire honnêtement son travail. Comme je vous l’ai dit, ce qui m’importe le plus, c’est de raconter une histoire. Je serais frustré si je n’arrivais plus à faire ce métier.
Dans « Traquenard à Saint-Florentin », Sibylline se montre crédule et indulgente. Elle part sauver son ennemi de toujours, Anathème …
FC : Non. Elle est orgueilleuse. Si on la titille, elle part, même si elle sait que la situation peut-être dangereuse. En fait, elle veut avoir raison. Ce n’est pas la même chose !
AT : François a sa vision de la série, et moi la mienne ! Ce qui compte, c’est avant tout d’enrichir les personnages. Je n’avais pas la même vision que Raymond Macherot sur Sibylline en commençant mon premier album de la série, Sibylline et la ligue des coupe-jarrets. En discutant avec lui, je me rendais bien compte que les personnages de Sibylline et de Taboum l’ennuyaient. Les personnages secondaires, surtout les méchants, l’intéressaient beaucoup plus. C’est pour cette raison que Sibylline est fort peu présente dans les derniers albums de Raymond Macherot. Quand j’ai repris la série, j’ai remis Sibylline à l’avant-plan. Mais si vous relisez attentivement mes albums, vous verrez que c’est Flouzemaker qui amène les gags et les situations.
François Corteggiani a un autre imaginaire et une autre vision. Sibylline offre un univers tellement riche que chacun peut y trouver sa substance. Chacun a sa vision des personnages et ceux-ci appartiennent aux lecteurs. Chaque auteur essaie de construire l’univers en fonction de ses amours de lecture de jeunesse. Quand François m’a donné le scénario de Traquenard à Saint Florentin, je l’ai pris tel quel car il reflétait sa vision des personnages. L’univers de Sibylline ne nous appartient pas.
FC : Il appartient à tout le monde. Mickey est animé par différentes équipes de scénaristes et de dessinateurs. Ils le font tous vivre d’une manière différente, mais pour le public cela reste la même série, les mêmes personnages, le même univers…
Il était question d’une intégrale reprenant les albums de Sibylline, de Raymond Macherot…
Stephan Caluwaerts (l’éditeur de Flouzemaker) le désire. Et cela va se faire en 2010 ou 2011. Il y aura à priori huit volumes. Macherot a réalisé plus de huit cent planches de Sibylline !
AT : Beaucoup d’histoires sont toujours inédites. Raymond Macherot avait signé pratiquement l’équivalent de vingt BD de 44 planches, alors que Dupuis n’en a sorti que onze ! De plus, cet éditeur, avait publié cette série d’une manière chaotique. Par exemple, entre l’album Sibylline en Danger et Sibylline et les abeilles, Macherot avait réalisé une histoire pour les fêtes de Noël. Dupuis l’a sucré car ils n’avaient pas la place pour l’incorporer dans un album. Cette histoire sera incluse dans l’intégrale. Chaque volume contiendra donc de l’inédit. Et il n’y a pas que des histoires courtes qui n’ont jamais été publiées.
SC : L’intégrale sera chronologique, ce qui important pour la compréhension de l’histoire et de l’œuvre de Macherot.
François Corteggiani, vous semblez scénariser des histoires réalistes et humoristiques avec la même gourmandise …
FC : j’ai appris mon métier avec des auteurs qui n’étaient pas préoccupés de bâtir une nouvelle Chapelle Sixtine. Ils voulaient simplement raconter des histoires. J’ai commencé à écrire pour des journaux. Raconter des histoires est un plaisir fabuleux. J’ai passé des soirées entières à discuter de scénario avec Michel Greg, Jean-Michel Charlier ou Jean Ollivier. Quand j’ai démarré ma première série réaliste, De Silence et De Sang, j’ai eu un plaisir fou à me documenter. C’était une opportunité très intéressante de passer de l’un à l’autre bien que Bastos et Zakousky avec Pierre Tranchand ne soit pas pour moi une série comique.
J’ai ainsi engrangé une documentation importante sur la mafia et, aujourd’hui, sur la Guerre de Sécession. En fait, j’avais déjà de nombreux bouquins sur ce sujet, achetés le plus souvent aux États-Unis, avant de reprendre le scénario de La Jeunesse de Blueberry. Jean-Michel Charlier disait souvent : « Lis le journal tous les matins. Tu y découvriras au moins cinq idées de scénario ». Il avait raison.
En 1982, vous avez rencontré Osamu Tezuka à Angoulême. Pourquoi vous-êtes vous intéressé à lui, alors que personne ne le connaissait ?
FC : Tout simplement parce que mes activités chez Hachette et Disney m’obligeaient d’aller à la Foire du Livre de Francfort. Il y avait alors un congrès Disney où je devais assister. Un éditeur vendait des bouquins sur des dessins-animés japonais. J’en ai ramené de la Foire et certains d’entre-deux étaient signés par Osamu Tezuka. A Nice, dans mon enfance, j’avais vu des dessins animés du Roi Léo sur Télé Monte Carlo. Je trouvais cela attrayant. J’ai fais le lien entre les bouquins achetés de Tezuka à Francfort et Le Roi Léo. En 1982, donc, les éditions Glénat m’invitèrent à Angoulême. Lors du cocktail d’inauguration, j’ai aperçu Osamu Tezuka. J’étais le seul à le reconnaître. À vrai dire, personne ne savait qui c’était ! J’ai discuté avec lui pendant de longues minutes grâce à un interprète. On a sympathisé. Il m’a proposé de venir manger à sa table le lendemain et m’a dit d’y amener des confréres. J’ai proposé nombre d’entre eux de venir. Pas un n’a accepté. En substance, tous me disaient : « Ton japonais, on n’en a rien à foutre ! ». Je tairai les noms ! (Rires). Plus tard, Tezuka m’a invité au Japon avec Jean Giraud que je lui ai présenté car il était un fana de Moebius. J’y suis hélas retourné pour son enterrement.
Mis à part Jean-Michel Charlier, Michel Greg et Osamu Tezuka, quel autre auteur vous a marqué ?
FC : André Franquin ! À dix-sept ans, j’ai été lui montrer mes dessins lors d’un salon du livre à Nice. Il n’avait pas le temps de les regarder, mais il m’a donné son adresse. Je lui ai écrit,il m’a répondu, et par après j’ai été le voir plusieurs fois à Bruxelles. J’ai de nombreux croquis qu’il m’a faits pour corriger mes planches. Je voudrais de citer également Christian Godard qui m’a beaucoup aidé lorsque j’ai débarqué à Paris,ainsi que mon ami [Luciano Bottaro et le magistral Benito Jacovitti.
Signerez-vous le prochain Sibylline ?
FC : Oui. J’ai déjà commencé le scénario. Je prépare également un one-shot pour les éditions Flouzemaker avec Jean-Claude Cassini. Sans parler du vingtième tome de La Jeunesse de Blueberry, qui est planifié pour 2011, plus un ou deux autres projets en cours.
Ne vous sentez-vous pas à l’étroit avec la Jeunesse de Blueberry. Vous êtes cloisonné à une période donnée, celle de la Guerre de Sécession…
FC : Non. Aussi étrange que cela puisse paraître, on n’a jamais autant de liberté que quand on a des garde-fous. Blueberry est un mythe et le fait de rester dans la période de la guerre de Sécession permet de se démarquer de l’œuvre de Jean-Michel Charlier et de Jean Giraud. On essaye d’apporter une petite pierre à ce qu’ils ont fait ! Blueberry, ce n’est pas nous ! Michel Blanc-Dumont et moi-même l’aidons simplement à vivre…
Et vous, André Taymans, quels sont vos projets ?
AT : Le prochain Caroline Baldwin paraîtra au printemps. Il s’appellera Free Tibet, et abordera le moment où la Chine a été mettre la flamme olympique sur l’Everest. Sinon, mon prochain Lefranc, avec Patrick Delperdange, Erwin Drèze et Raphaël Schierer paraîtra en juin. J’ai également un projet avec Jean-François et Maryse Charles, qui est planifié pour septembre 2010. Sans compter le prochain Sibylline avec François Corteggiani. Ce n’est pas si mal !
(par Nicolas Anspach)
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Photo : (c) Nicolas Anspach
Illustrations : (c) Taymans, Corteggiani & Flouzemaker
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