Philipe Foerster a été l’un des piliers de Fluide Glacial, mais a également travaillé avec Berthet, Andréas et Cossu. Fana de fantastique, il n’a pourtant pas son pareil pour plonger le lecteur dans un récit plus réel. En trente ans de carrière, il a déjà signé chez Delcourt, Dupuis, Lombard, Fluide Glacial et Casterman, selon l’esprit des récits qu’il livrait.
Le voici chez Quadrants avec un récit dense de 72 pages mettant en scène la fille de Billy the Kid, décidée à rejoindre sa mère de l’autre côté de La Frontière. Cette évocation historique de l’avancée de la conquête de l’Ouest prend ici un autre sens, car derrière un nuage mystérieux dont peu sont sortis vivants, une petite ville vit en autarcie sous la coupe du tyran local, Bloody Christmas, semblant commander aux plaies d’Égypte…
La nature fantastique vous emballe, une fois de plus ?
La plupart des histoires ont un fond de fantastique, si elles ne le sont pas elles-mêmes totalement. Pour moi, le fantastique est le meilleur média de l’inconscient vers le conscient. C’est donc le genre idéal pour exprimer des éléments difficilement cernables, sans que les éléments abordés ne passent trop par le filtre de la réflexion.
Au sein de La Frontière, votre dernier-né paru chez Quadrants, vous vous concentrez sur les liens entre père et fille, ici par le truchement de la fille de Billy the Kid…
Le nœud familial, souvent éclaté, revient dans pas mal de mes histoires. Je pense que chaque famille a ses propres difficultés. Comme nous sommes ici en bande dessinée, j’ai donc exagéré ces problèmes, qui ne sont pourtant que le miroir de nos propres vies. Comme La Frontière est un western, cette expression est plus violente, sans oublier une bonne dose d’humour. La fin du récit est d’ailleurs plus émotionnelle, mais je désire jouer sur plusieurs tableaux pour passer par divers stades de plaisir, de réflexions et de sentiments tout au long de la lecture. Comme il s’agit d’un album dense de 72 pages, j’ai bien entendu alterné aussi des séquences d’action et d’ambiance tandis que d’autres s’axent plus sur les liens entre les personnages, grâce aux dialogues.
Une telle pagination n’est pas courante. Vous avez trouvé un bon contact chez Quadrants, répondant à vos attentes ?
Effectivement, les rapports avec Corinne Bertrand sont extrêmement cordiaux : elle a été particulièrement à l’écoute des ambiances et de la construction du récit. Concernant la pagination, Quadrants joue la carte d’une plus grande latitude, avec divers formats. C’est donc dans une grande liberté que j’ai pu travailler, profitant d’une forme qui s’adapte au fond. Les couvertures sont aussi bien travaillées : mat, pelliculé ou autre. Chaque album devient donc un objet à part, qui ressort grâce à ses particularités. De plus, nous avons voulu privilégier un gros one-shot, plutôt qu’un diptyque qui profite mal de la situation actuelle où la survie du second tome dépend du premier et où les lecteurs rechignent parfois à acheter un premier tome car ils ignorent quand arrivera la fin de l’histoire, si elle sort un jour.
Les thèmes abordés dans votre récit auraient pu faire l’objet d’un autre cadre, mais vous avez choisi le western moquant les conventions autant que de les personnages ?
Le western est un genre que j’adore ! D’abord, car c’est toute mon enfance : étant gamin, on s’envoyait des films à la chaîne dans les cinémas de province. En grandissant, je me suis bien sûr rendu compte que ces westerns étaient également la parole de l’Amérique, presque de la propagande. C’est exactement ce que j’évoque dans ce récit : un mélange de fascination et de duperie ! En donnant mes cours de bande dessinée, je discute avec des jeunes et je me rends compte qu’en voyant par exemple 300, ils éludent la propagande distillée pour s’attacher à la beauté plastique du film, comme moi à mon époque ! (rires) Mais une bonne œuvre doit être ambigüe et avoir plusieurs degrés de compréhension.
Au western, vous mêlez tout de même le fantastique aux traditions judéo-chrétiennes, mais aussi au vaudou…
Je mélange une série de mythologies proprement américaines, comme ce refuge dans les Écritures : ils lisent la Bible depuis tout petit, comme on s’en rend compte quand on lit de grands écrivains américains, tels Melville, Faulkner ou plus récemment Cormac McCarthy.
Vous truffez aussi votre intrigue de personnages hauts en couleurs. Ils ont réellement existé ?
Effectivement, ce sont autant des hommages que des référents historiques : Lewis Wallace le gouverneur du Nouveau-Mexique qui écrivait véritablement Ben Hur à cette époque-là ; le shérif authentique qui seconda Pat Garrett ; ou encore l’écrivain Ashley Upston ! Je voulais crédibiliser l’aspect fantastique du récit.
Vous terminez votre album avec un nouveau pied-de-nez, mais ici adressé donc au cinéma hollywoodien !
Après ce fantastique, je voulais replacer la fiction dans le réel, non sans rappeler que la grande figure mythique de John Wayne se prénommait véritablement Marion, ce qui peut paraître amusant car c’est plus un prénom féminin dans nos contrées. Cela me permettait de terminer l’album sur un épilogue assez joyeux !
Vous aviez d’ailleurs déjà écrit un western pour Berthet, crayonné un autre récit pour qu’Andréas l’encre. Comme vous viennent ces envies de scénarios et d’associations ?
Ce sont surtout les rencontres qui me portent. Philippe [Berthet] est un ami, et c’est à sa demande que je lui avais écris deux récits, dont ce Chien de prairie que vous évoquez, car il désirait ardemment illustrer un western. Idem pour Andréas, qui ne désirait que encrer mes dessins sans que je n’aie jamais réellement su pourquoi ! (rires) Vu le talent du monsieur, j’ai bien entendu sauté sur l’occasion. Je me laisse donc aller au gré des rencontres, et pour le futur, j’ai deux-trois demandes pour des scénarios. Je pense également à des récits pour moi, mais rien n’est encore signé. Je serai alors heureux de revenir chez Quadrants, vu le résultat de notre première collaboration.
(par Charles-Louis Detournay)
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