Druillet, vous considérez-vous toujours comme un auteur de BD ?
Druillet : J’ai toujours dessiné. Je réalise des toiles depuis que j’ai 17 ou 18 ans, mais c’est la BD qui m’a toujours animé et je savais très tôt que j’avais un avenir là-dedans. J’étais aussi convaincu que la bande dessinée serait le futur art contemporain du vingtième siècle. Carrément ! J’y ai cru, je me suis battu pour cela et aujourd’hui, c’est gagné, car nous sommes acceptés partout, que ce soit dans les musées ou les galeries d’art, en passant par les ventes aux enchères et chez les collectionneurs, même chez les plus grands !
Nous avons mené un combat culturel. Les œuvres de nos maîtres, Hergé, Franquin, Jacobs, font des scores incroyables. Certains disent que c’est surcoté mais ceux-ci ne comprennent pas que l’argent a aussi une valeur positive sur un art, car elle l’anoblit. Cet art devient sérieux et nous, ses artisans, existons. Toutefois, cela ne nous empêche pas de "délirer" dans notre travail, sans penser au pognon et aux factures qui nous attendent chaque mois.
Chacun à son propre chemin à suivre et, en ce qui me concerne, j’ai fait beaucoup de choses. Mes activités vont de la bande dessinée à la sculpture, en passant par le cinéma et la 3D. J’aime aussi bien travailler en équipe que seul dans mon atelier. Et je suis toujours à la quête de la perfection. Une perfection que je n’atteindrai jamais !
Di Rosa : Moi, c’est le contraire ! On croit parfois que je fais de la BD alors que ce n’est pas le cas.
J’ai accepté de faire cette exposition suite au grand débat initié par Christian Balmier qui s’est ouvert à propos des ventes publiques autour de la BD et de l’entrée de celle-ci dans les musées.
Lorsque j’ai commencé à faire de la BD, au début des années 1980, et que j’ai voulu faire une exposition au Musée Matisse de Nice, on se foutait de moi ! Aujourd’hui, ces même personnes ne s’y connaissent pas plus en 9e art mais ils se rendent bien compte que de plus en plus en de monde aime cela.
Pour moi, la BD c’est comme le cinéma dans le sens qu’à l’origine, c’étaient des outils de divertissement mais que certains les ont détournés de leur sens premier pour en faire autre chose.
La démarche de cette opération menée par Petits Papiers, c’est de mettre en valeur notre travail et de mener une réflexion. Et puis, certains auteurs se considèrent comme des artistes, d’autres par contre se voient plus comme des artisans. Finalement, je pense que tout cela n’est qu’un problème de distribution. On retrouve cela aussi dans l’art contemporain.
Druillet : C’est pareil au cinéma. Il y a une querelle entre un cinéma dit d’auteur et un cinéma dit populaire. Il n’y a qu’aux États Unis où on ne se pose pas la question ! C’est un problème d’écoles. C’est dû à la nouvelle vague, ce style à la con que j’ai toujours détesté ! Ça a foutu un bordel pas possible ! Claude Chabrol, qui faisait partie de cette équipe, s’est mis à faire un cinéma qui l’appelait du cinéma. Quand à Jean-Luc Godard, c’est le plus grand escroc de la planète ! Il s’est pris pour Dieu alors qu’il n’a jamais fait vraiment d’entrées en salle ! La France est le seul pays au monde où tu entends parler de deux vedettes tous les jours : Marcel Proust et Godard. Le reste, n’existe pas ! Lorsque la BD a explosé, les intellectuels et la presse se sont rendus compte qu’il ne fallait pas passer à côté de ça. De l’autre côté, au cinéma et dans la littérature, la science-fiction a aussi été totalement méprisée en France. Le seul qui passait à peu près, c’était Ray Bradbury. Puis un jour, Stanley Kubrick a fait 2001, l’Odyssée de l’espace. Là, tous les critiques l’ont eu dans le cul ! Lorsque nous défendions Planète interdite dans les années 1950, on se faisait traiter de débiles mentaux par ces même personnes. Comme je vous le disais tout à l’heure, pour la BD, cela a été un combat. C’était la même chose en musique et pour la littérature de science-fiction. Tout cela, c’était en France. Toutefois, je dois mettre un bémol à mes propos en citant le film Blade Runner de Ridley Scott, qui fut un échec aux USA mais c’est l’Europe qui l’a sauvé.
Di Rosa : Tout à fait d’accord avec toi, sauf pour Godard, qui est cité par tous les cinéastes américains, à l’instar de Quentin Tarantino. S’ils le citent tous, c’est qu’il a dû avoir un certain talent.
Pour en revenir à la BD vis à vis de l’art contemporain, je pense que la chance de la BD, c’est qu’il n’existe plus de grand mouvement dans l’art contemporain. Par exemple, avant, lorsque l’on se rendait dans une foire d’art contemporain, il y avait une sorte de dominante chaque année.
Selon vous, quel est le grand mouvement dans la bande dessinée d’aujourd’hui en France ?
Druillet : Aujourd’hui, nous avons un courant d’écrivains graphiques dans la bande dessinée, avec les Sfar, Blain et Larcenet, qui sont dans la continuité de Reiser ou Claire Brétécher. Par exemple, le travail de Riad Sattouf sur La Vie des jeunes publié dans Charlie Hebdo [Publié chez L’Association. NDLR] va rester parce que c’est le témoignage d’un siècle, d’une époque...
Di Rosa : Comme le travail de Reiser...
Druillet : Effectivement, comme Reiser. Tu me l’as ôté de la bouche, si j’ose le dire (rires).
Donc, ce n’est pas encore un mouvement comme on pu avoir le mouvement Pilote, par exemple, mais on assiste à un retour sur la réalité, sur le social. Il y a une interrogation sur la société sous la forme d’écriture dessinée. Je trouve cela tout à fait honorable !
Un jour, quelqu’un m’a dit qu’aujourd’hui, il n’y avait plus de grands dinosaures comme Moebius ou moi. Je lui ai répondu qu’on en avait rien à foutre, car l’intérêt de la bande dessinée c’est que c’est un moyen d’expression à multiples branches. Et cette activité actuelle qui est un mouvement littéraire graphique fait entièrement partie de la bande dessinée. C’est la diversité !
Je suis passionné par les nouvelles générations, que j’adore ! Riad Sattouf est génial ! Sfar, qui s’est lancé dans le cinéma, prouve encore la richesse des gens de notre milieu. Osons un parallèle avec la période du Quattrocento, la Première Renaissance dans l’art, on voyait que les artistes faisaient aussi bien du dessin que de la peinture et de la sculpture ; ils dessinaient des jardins, etc. Aujourd’hui, on vois un peu la même chose car les auteurs de BD deviennent des vrais touche-à-tout. On fait du multimédia. J’ai compris que pour grandir dans mon art, il fallait que je m’ouvre à tout les domaines de la création et de l’artisanat, et je fais cela depuis 30 ou 40 ans. On voit aussi cela dans les nouvelles générations.
Di Rosa, êtes vous d’accord avec Druillet ?
Di Rosa : Oui, grosso modo.
Dans le cadre de cette exposition, au niveau de votre art, qu’est ce qui vous relie à Druillet ?
Di Rosa : Peut être que l’influence n’est pas visible au premier abord mais dans ma démarche artistique, j’ai été un des premiers à reconnaitre l’influence importante de certains auteurs de BD sur ma formation intellectuelle et formelle, au même titre que mes autres influences classiques comme Matisse et Jean Dubuffet.
Certains artistes comme Philippe Druillet m’ont marqué. C’est pour cela que j’ai accepté de faire cette exposition, parce qu’elle prouvait que je ne m’étais pas trompé. Je savais que Philippe travaillait sur une série en noir et banc et que moi, étrangement, en 1982 ou 83, je n’ai peint qu’en noir et blanc. Lorsque les gens de Petits Papiers sont venu me proposer cette expo avec Druillet, j’ai eu envie de me remettre dans cette démarche de noir, de gris sur du blanc. C’est ça qui fait écho. Philippe avait déjà fait son travail et c’est moi qui fait écho à son œuvre en proposant quelque chose qui peut alimenter ce fameux débat de ce qui est art et ce qui est bande dessinée.
Vous savez, j’ai créé il y a treize ans un musée, à Sète ma ville natale, qui s’appelle le Musée international des Arts Modestes [1]. On a fait trente expositions, trente catalogues. On a invité six-cent artistes venus du monde entier et appartenant à toutes les générations. L’objectif de ce musée est de s’intéresser à la relation qui existe entre la création contemporaine, l’art savant et la création dite populaire, qui vient de l’industrie, c’est à dire la bande dessinée ou encore le cinéma, etc.
Donc, c’est un questionnement qui me préoccupe. Je ne prétend pas donner des solutions mais j’ouvre un dialogue entre deux mondes qui ne se connaissent pas forcément. Ce qui m’intéresse c’est d’alimenter la curiosité des artistes et du public. Donc, accepter cette exposition avec Druillet était naturel pour moi. Ne pas le faire aurait signifié me renier dans ma démarche artistique ! C’est un risque que je prends car ce n’est pas toujours bien vu dans l’art contemporain de flirter avec la BD.
(par Christian MISSIA DIO)
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Exposition "Cosmos" de Di Rosa & Druillet. Du 8 au 31 mars 2013.
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[1] MIAM
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