Dans Le Monde daté du 25 octobre, il y a un superbe article concernant l’exposition De Superman au Chat du rabbin dont tu es le conseiller scientifique intitulé :"Superman, un héros juif". Ce titre te fait réagir ?
Il me fait bondir, oui ! D’abord parce que ce n’est pas vrai, ensuite parce que cette affirmation est à l’opposé de ce que nous avons voulu faire dans cette exposition : présenter une approche du rôle de l’histoire juive dans l’évolution de la bande dessinée et du roman graphique. Comme le dit la directrice du musée Laurence Sigal dans la préface du catalogue, cette exposition n’attribue pas à la bande dessinée une spécificité juive. Elle écrit : « Elle pose les choses avec la précision historique et le sens de la nuance nécessaires : les juifs ne sont pas les inventeurs de la bande dessinée et ni le Spirit, ni Superman ne sont des héros juifs ». C’est écrit noir sur blanc en page 6 de notre catalogue !
Il n’est pas vrai que Superman soit juif. Cette affirmation traîne depuis quarante ans dans la littérature spécialisée sur la bande dessinée. L’article nous est favorable, dit de l’expo qu’elle est "remarquable et érudite", mais ce titre ne nous rend pas service. Pas un de nos dossiers de presse, pas une seule mention dans l’exposition n’entérine cette affirmation. C’est une connerie. Voyant venir le coup, j’avais précisément écrit pour L’Arche, le mois dernier un article intitulé "Superman, un héros non-aryen". Ceci est bien plus exact. N’oubliez pas que ses aventures s’adressaient au plus grand nombre. Les auteurs ont donc gommé très tôt toute aspérité minoritaire. Ils ont d’ailleurs été dépossédés de leur personnage dès 1946.
Plus fondamentalement, Superman est un extraterrestre, né sur la planète Krypton. Il est recueilli par une famille de protestants que certains auteurs qualifient de méthodistes. Quand Superman se marie, ce n’est pas à la synagogue ! Le même article cite Goebbels qui aurait dit dans une réunion que "Superman était juif". Après plusieurs années de recherche, je n’ai pas trouvé de preuve historique que ces mots que je soupçonne avoir été inventés par Jacques Marny en 1968, aient été prononcés par le chef de la propagande nazie, par ailleurs féru de BD si l’on en croit le témoignage de Milton Caniff. En revanche, suite à une bande dessinée de Superman datant de février 1940, un journal SS répliqua en avril de la même année en signalant l’origine juive des créateurs du premier super-héros de l’histoire des comic-books, prenant soin de dire que Siegel était "intellectuellement et physiquement circoncis". Les nazis ont donc été les premiers à désigner les origines juives des auteurs de Superman.
En quoi cette exposition a-t-elle bénéficié du travail que tu mènes depuis plusieurs années avec Annie Baron-Carvais, récemment décédée, pour éditer un ouvrage consacré aux juifs dans la bande dessinée, La diaspora des bulles , dont la parution est désormais annoncée pour fin 2008 ?
D’abord, ce n’est pas un livre que nous avons mené seuls. Il y a près de trente auteurs qui y contribuent et plusieurs d’entre eux (Eddy Portnoy, Martin Winckler...) ont participé aux débats qui ont eu lieu dimanche dernier. Bien entendu, les concepteurs de l’exposition se sont notamment appuyés sur ce travail pour élaborer leur réflexion. C’est pourquoi j’en suis le conseiller scientifique. Précisons par ailleurs que La diaspora des Bulles aborde un champ bien plus large que celui de l’exposition qui s’est volontairement limitée à certains sujets.
L’historiographie des représentations antisémites dans la bande dessinée est présente dans la Diaspora, pas dans l’expo. Dans notre livre, la Shoah occupe une place bien plus grande qu’ici. Enfin, des auteurs comme Goscinny ou Jodorowsky ne figurent pas dans l’exposition car, précisément, leur travail était trop éloigné de son propos que je rappelle à nouveau : "le rôle de l’histoire juive dans l’évolution de la bande dessinée et du graphic novel".
Propos recueillis le 26 octobre 2007
(par Arnaud Claes (L’Agence BD))
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