Qui a eu l’idée de venir vous chercher pour dessiner cette histoire ?
Yann. Mais à l’origine, il s’agissait plutôt d’une envie de collaboration, sans sujet précis. Je sortais de plus de deux années de boulot sur Ecowarriors avec Richard Marazano (12Bis) Trois bouquins qui m’avaient demandé énormément d’énergie, de tâtonnements, de doutes… et beaucoup d’enthousiasme aussi, car le sujet m’était très personnel et graphiquement j’avais envie de le partager au maximum.
Et puis la sentence est arrivée : ventes insuffisantes. En tant que professionnel, pas d’autre choix que de rebondir, surtout ne pas se laisser dévorer par l’amertume ou la grogne. Yann est bien tombé, en quelque sorte. Avec le recul, nous avons analysé le pourquoi du comment, Richard et moi. Nous sommes nos pires critiques. Et mon petit doigt me dit que nos Ecowarriors repensés pourraient bien réapparaître un jour.
Ce nouvel album est clairement inspiré du "Tueur aux Mangas" dont nous avons parlé sur ActuaBD. Pourquoi cette histoire vous a-t-elle intéressés, Yann et vous ?
Dans un premier temps, elle a surtout intéressé Yann, qui avait suivi l’affaire de près à l’époque des faits. Moi, j’en avais entendu parler, sans plus. L’idée de remettre le couvert dans une histoire contemporaine ne me branchait pas beaucoup. Je voulais me défouler sur un sujet dont le visuel serait plus décalé. J’aime bien croquer des vieux avions, des vieilles bagnoles, tout autant que des vaisseaux spatiaux et leur technologie hi-tech… Et puis Yann m’a envoyé le déroulant de son Tueur aux Mangas. Son angle de vue d’une bande d’ados enquêtant en parallèle bardés de leur portable et IPad m’a bien plu. J’ai commencé à crobarder les personnages, puis je me les suis appropriés. Après quelques planches d’essais, j’avais acquis la certitude que j’étais apte à tenter l’aventure. Yann aussi. L’éditeur également.
C’est une bande dessinée très référentielle, comme Yann sait les faire. Quels sont les détails auxquels nous aurions échappé ?
Là, je laisse le lecteur s’amuser à les pointer. Cette BD a un côté ludique, autant ne pas le dégoupiller. Certaines références sont propres à Yann, d’autres à moi. Nous sommes tous les deux de grands gamins quand on fait de la BD, et puis déconner un bon coup ça fait du bien, de temps à autre…
Toute l’histoire se passe à Bruxelles, on ne vous connaissait pas une telle passion pour cette ville...
Euh, je ne connais pas très bien Bruxelles, en fait… Et pour tout dire, après être allé dans toutes les grandes villes d’Europe, je serai plutôt branché Londres. La question s’adresse surtout à Yann, un vieux Niçois de la capitale qui, je le pense, aime profondément cette ville. Moi, il me faut mes arbres derrière les fenêtres et mes chats qui pieutent dans l’atelier pour me sentir bien. Je ne suis pas du tout citadin. J’ai même la réputation d’être un ours des cavernes. Les personnes qui tentent de me faire sortir de ma tanière pour une séance de dédicaces à gauche ou à droite le savent bien ; je suis un très mauvais client. Bruxelles était aussi le lieu obligé, puisque les faits dont s’inspire l’histoire se sont déroulés dans cette ville.
Ce n’est pas votre première aventure qui évoque le Japon : vous avez fait des mangas pour un éditeur japonais auparavant, ce qui n’est pas le cas de bon nombre d’auteurs européens...
Oui, chez l’éditeur Kodansha, courant des années 1990. Ça m’a fait du bien, à l’époque. Une vraie remise à plat de mes rapports à ce métier : format différent, technique différente, productivité… Une complète désacralisation de la « planche ». Je bossais sur du papier A4 pour machine à écrire, au feutre… après des années de Schoeller Parole et de pinceaux Windsor & Newton ! Je découvrais une liberté proche du carnet à croquis et surtout, j’adorais le format –je l’adore toujours- qui donne l’occasion d’une écriture différente. J’ai le souvenir de journées passées à tester une foultitude de techniques : lavis, crayon gras, stylobille… Premiers pas en numérique aussi, sur un Pentium 480 qui me laissait le temps de fumer une clope pour ouvrir un fichier.
Ce que je n’ai pas réussi, c’est de me départir suffisamment du moule « franco-belge ». Encore aujourd’hui, l’obsession de la « belle image » m’énerve, je n’arrête pas de me bagarrer contre cette tendance. Quand le sujet s’y prête, évidemment. Pour résumer, j’ai plutôt un bon souvenir de cet épisode nippon. Ne serait-ce que par la découverte d’un bouillonnement créatif que je croyais sottement limité à la vitrine Dorothée and Co.
Votre vision du manga est assez critique...
Bizarre, cette remarque. Ni Yann, ni moi, n’avions l’intention de faire une réflexion critique sur le manga. Au contraire. Je sais que Yann dévore beaucoup de mangas et qu’il aime ça. Je l’ai déjà dit, j’aime le format et la pagination qui permettent un rapport à l’image différent, plus "écriture"… En tant que lecteur, il y a tout un pan de la production manga qui m’échappe, mais c’est générationnel. Pour avoir fréquenté une fois un « Japan Expo », il est clair que je ne m’identifie pas aux cosplayers, mais ça ne m’empêche pas de trouver ça marrant. Non, j’ai beau me repasser tout l’album en tête, je ne vois vraiment pas en quoi j’y ai manifesté une vision « critique ». J’ai beaucoup plus de mal avec les héros en collant des comics US...
Comment avez-vous travaillé, Yann et vous, car on sent bien que vous êtes intervenu dans le scénario...
J’ai surtout joué les conseillers techniques, car Yann est une buse en informatique. Sinon, nous avons travaillé de manière conventionnelle : je fais un story-board, Yann me fait ses commentaires, se rend parfois compte qu’une scène ne fonctionne pas, et donc la modifie… J’ai découvert un fichu perfectionniste. En plus, à cause de ma maladie de la « belle image », j’ai tendance à en mettre trop. Yann me ramenait souvent au souci de la lisibilité. Niveau narration, non, je suis très peu intervenu. Je me contente de faire parler l’image au mieux. Je suis très peu interventionniste dans l’écriture de mes scénaristes. C’est un parti-pris. Mon travail est de transformer un texte en image. D’y mettre de la vie, de l’émotion, de faire en sorte que le spectateur-lecteur y croit. Si je veux faire du scénario, je prends la casquette de scénariste.
Il y a un sacré réalisme dans les décors. C’est de la transposition graphique de photos sur Photoshop à certains moments ?
À partir du moment où Bruxelles était un personnage à part entière du récit, j’ai décidé de représenter Bruxelles au plus près de la réalité. Il y a encore cinq ans, je serais parti en repérage dans les rues de la capitale. Aujourd’hui il y a un outil extraordinaire : streetview. Donc je me suis inspiré de ces promenades virtuelles pour camper les rues précises mentionnées dans le scénario. En dessin réaliste, la photo est un outil, incontournable, le tout est de se l’approprier, pas de l’utiliser telle quelle. Un dessinateur réaliste qui prétend ne jamais utiliser de photos est un fieffé menteur. Sur le plan technique, je dessine et colorise tout en numérique. Photoshop bien sûr, mais aussi Artrage pour la partie crobards . Sans oublier la 3D que j’utilise pour des objets ou scènes récurrentes dans le récit. Je continue à dessiner « à l’ancienne » pour mon seul plaisir. En ce qui concerne la BD, c’est terminé.
Combien cette histoire fera-t-elle de tomes ?
Deux.. Le second volume sortira en septembre 2013.
Continuerez-vous les aventures de ce Club des Cinq bruxellois ?
Franchement, je n’en sais strictement rien. Réponse bateau : cela dépendra du succès de deux volumes en cours. Et aussi de mes propres capacités. J’ai du pain sur la planche pour les années à venir. Alpha, Alvin Norge… Ce sont des personnages gourmands en énergie et en temps. Et, euh..., je n’ai plus la faculté d’enchaîner les nuits blanches de mes jeunes années.
Croyez-vous que cette histoire puisse être publiée au Japon ?
Why not ? Alvin Norge a bien été publié en Chine. Si le département des droits étrangers de Casterman sait se montrer persuasif, rien n’est impossible. Surtout qu’à la sortie du tome 2, il est prévu une version en noir et blanc qui réunirait les deux volumes… en format manga !
Où en sont vos autres séries chez Glénat et au Lombard ?
Blue Space chez Glénat, c’est terminé. Ne pas oublier qu’à l’origine, il s’agissait d’une commande d’Astrium, la branche « espace » d’EADS. En ce moment, je travaille sur la reprise d’Alpha, avec Iouri Jigounov au scénario. Après deux volumes que je fais d’une traite, je reprends Alvin Norge avec Richard Marazano. Un tout nouveau cycle complètement décoiffant. À terme, et si « le succès le justifie », j’aimerais alterner un Alpha et un Alvin Norge. Mais ça, cela ne dépend pas que de nous.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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L’album sera le 26 septembre 2012 dans toutes les bonnes librairies.
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