D’abord, c’est Didier ou Dieter Comès ?
Aujourd’hui, tout le monde appelle Comès, Didier et non Dieter. Mais à l’origine, il portait en effet ce prénom germanophone, qui lui venait de la langue de son père. Il a été "rebaptisé" à l’école, après la guerre.
Quelle est l’importance de Comès dans l’histoire de la BD franco-belge ? C’est un exemple typique de la génération (A Suivre) ?
Parmi les auteurs belges révélés par (A Suivre), on peut pointer aujourd’hui quelques grands noms : Philippe Geluck (qui a débuté dans Le Soir) ; Benoît Sokal (qui fait vraiment ses premières armes sous l’égide de Jean-Paul Mougin même s’il a publié un court récit dans Métal et quelques histoires ailleurs avant de débarquer au sein du magazine de Casterman) ; Schuiten, d’une certaine manière, puisqu’il y démarre Les Cités Obscures en compagnie de Benoît Peeters après des collaborations en compagnie de son frère Luc et de son ancien professeur Claude Renard dans les pages de Métal Hurlant... Et bien sûr, Didier Comès !
Son nom n’est plus tout à fait inconnu lorsqu’arrive Silence ; il a déjà publié de nombreux gags dans plusieurs magazines, réalisé un premier album d’Ergün l’errant. Il a surtout proposé dans les pages du magazine Tintin le magnifique récit L’Ombre du corbeau. Mais ce récit publié ensuite aux éditions du Lombard ne trouve pas son public parmi les lecteurs du journal. Comès est remercié à la suite d’un référendum et d’un changement de rédacteur en chef. Il quitte Tintin en même temps que Pratt. On était pourtant tous les deux venus les chercher pour élargir le lectorat !
Pendant quelques temps, Comès va s’adonner à son autre passion : la musique. Percussionniste de jazz semi-professionnel depuis plusieurs années, il se produit dans les environs de Liège et travaille même dans un bar, rangeant définitivement au vestiaire ses ambitions dans le domaine de la bande dessinée. Jusqu’au jour où Didier Platteau vient lui proposer de travailler pour le futur magazine (A Suivre), qu’il est sur le point de créer avec Mougin.
Platteau a été séduit par L’Ombre du Corbeau, il propose donc à Didier de travailler sur des récits en noir et blanc à la pagination libre, tout ce que Comès avait toujours rêvé de faire. Cela donnera Silence. Ce récit ne pouvait pas trouver place ailleurs que dans (A Suivre) en raison de son traitement adulte, très romanesque - on a envie de dire littéraire même s’il s’agit d’un récit qui exploite merveilleusement tous les codes de la narration en bande dessinée -, de son importante pagination et de l’utilisation du noir et blanc. En cela, Comès est un vrai produit de cette génération.
Quant à son importance dans la bande dessinée belge : il en est non seulement le plus grand représentant du noir et blanc avec Schuiten (même si Schuiten oscille entre couleur et noir et blanc), mais il est en outre l’un des plus grands noms de la bande dessinée d’auteur en Belgique. Il a porté un regard singulier sur les deux guerres mondiales en utilisant les codes du fantastique. Il a parlé de la différence d’une manière à la fois intelligente et forte. Il a remis en avant l’importance de l’animisme ou du chamanisme dans les campagnes en lien avec les communautés primitives. Il est surtout l’un des meilleurs au plan du découpage. Il sait raconter comme personne.
S’il fallait commencer par un album, vous choisiriez lequel ?
De toute évidence, et même si c’est d’une banalité consternante, je choisirais Silence. Pourtant, ce n’est pas mon préféré. Mais ce fut un choc énorme quand je l’ai lu, adolescent. Graphiquement, je trouve Comès au sommet de son art un peu plus tard, surtout dans L’Arbre-Coeur et dans Les Larmes du tigre. Silence possède cependant une force absolument unique et totalement indémodable. Cette première page entièrement muette, avec juste un petit écriteau où l’on peut lire : "Je mapel Silence et je suis genti", quelle entrée en matière magistrale ! La regarder de près est un régal pour les yeux du visiteur de l’exposition.
Silence avait été récompensé à Angoulême, je crois.
Oui, il a eu le prix du meilleur album en 1981.
Comès fait ses débuts dans Le Soir, puis dans Tintin...
Ses débuts, Comès les fait dans Le Soir Jeunesse, fin des années soixante. Puis, dans les pages de l’éphémère Pilote Belgique (où Schuiten publia son premier récit à seize ans), mais aussi dans le magazine Spirou. Il collaborera même brièvement au Trombone illustré. Comès commence sur un registre humoristique et volontiers bucolique, comme on pourra le voir dans l’exposition où se trouvent quelques travaux des premières années. Sa série Hermann, par exemple, est une série animalière.
Il s’associe également à Paul Deliège. Le père de Bobo est l’une des personnes qui lui a mis le pied à l’étrier et l’a aidé à ses débuts, il réalisait certains scénarios pour Didier. Quand on voit ces premiers travaux, on s’aperçoit que le noir et blanc est son expression naturelle, mais il lui faudra du temps pour trouver son style car quand il commence, il répond à des commandes et adapte son style en fonction du lectorat.
Son premier long récit paraît dans Pilote en 1973, c’est Le Dieu vivant, première aventure d’Ergün l’errant. Il est en couleur, tout comme le second volet, Le Maître des ténèbres, qui ne paraîtra que sept ans plus tard. Entre-temps, Dargaud ayant perdu les vingt premières pages du second Ergün, l’auteur aura cru ne jamais arriver au bout. Et sera passé à autre chose, L’Ombre du Corbeau, avant de s’y remettre.
On le trouve dans la lignée de Pratt, de Tardi et de Eisner. Quelle est la nature exacte de leur compagnonnage ?
Parler de Hugo Pratt à Comès, c’est à coup sûr provoquer l’émotion. Il ne s’est jamais vraiment remis de la perte de son ami. Pratt et Comès étaient très liés. Et pas dans un rapport de maître à élève, comme on pourrait le croire. En témoigne par exemple cette maquette des Scorpions du Désert bricolée par Pratt à partir de tirages couleur en italien qu’il avait envoyée à son ami belge pour lui demander ce qu’il pensait de son récit. Bien sûr, Comès a appris de cette proximité avec l’auteur de Corto Maltese. C’est chez Pratt qu’il est sans doute allé puiser une partie de son rapport au silence, aux cases muettes pourtant très narratives.
Eisner, comme Milton Caniff, ce sont les vraies influences profondes. Les dessinateurs américains ont véritablement marqué Didier Comès, surtout dans leur utilisation du noir et blanc. Il rend d’ailleurs hommage à Eisner dans une planche de l’album Eva que l’on pourra découvrir dans l’exposition, véritable leçon de dessin où l’on suit un pinceau de lumière sur un personnage durant toute la page.
À une certaine époque, on sent qu’il regarde beaucoup Muňoz, aussi. Il tente d’approcher un noir et blanc frisant l’abstraction tout en restant extraordinairement signifiant, au premier coup d’œil. C’est très visible dans L’Arbre-Coeur. Quant à Tardi, pour lequel Comès a une grande admiration, je pense qu’il l’a moins influencé que les lectures de Jean Ray ou de Thomas Owen. Il ne faut en effet pas négliger la formation littéraire (et cinématographique) de cet auteur dont le fantastique se nourrit non seulement des légendes de sa campagne, mais surtout d’un univers où les littératures belge et allemande ont toute leur place.
Vous aviez fait une grande exposition rétrospective à Liège. Cette expo à Angoulême en est une réédition ?
C’en est une version réduite. Tous les originaux présentés font partie de ce qui a déjà été montré à Liège. La grande différence réside donc dans la taille : 50 originaux sélectionnés sur 250 à l’origine, c’est le fin du fin. Aux Musée des Beaux Arts de Liège, on trouvait également les œuvres de deux auteurs "invités" : Frank Pé avait prêté des sculptures de bronze et Claude Renard des objets chamaniques de sa collection privée. Ici, on sera véritablement plongé dans le dessin. La scénographie proposée par Xavier Dumont et Monique Calande est pour moi une sorte d’écrin absolu pour redécouvrir un maître du noir et blanc comme Comès. La très belle crypte du théâtre d’Angoulême sera plongée dans le noir. La lumière proviendra des œuvres elles-mêmes, enchâssées une par une dans des caissons lumineux construits sur mesure. L’effet est saisissant.
Quand et où Comès sera-t-il présent lors du Festival ?
Il devrait arriver le vendredi et repartir le dimanche soir. Mais il ne souhaite pas signer ses albums et encore moins faire de dédicaces. En revanche, il sera présent pour l’une des rencontres internationales, qui sera animée par Christian Marmonier, le vendredi 1er février, à l’auditorium du Conservatoire.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Notons qu’un catalogue avait été édité par la Ville de Liège avec le soutien du Service des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour l’exposition liégeoise. Ils seront disponibles au tout petit prix de deux euros sur le stand Wallonie-Bruxelles à Angoulême (dans la limite des stocks disponibles). Plusieurs contributions d’articles à teneur scientifique et quelques-unes des plus belles images de l’expo y figurent. Sautez sur l’occasion !
Participez à la discussion