Comment est née « Blessure d’amour propre », cette suite à « L’Amour propre », un album précurseur pour l’époque…
Il y a plusieurs raisons. La nécessité, tout d’abord. Je n’avais plus publié de livres depuis quelques années. J’en préparais un pour les éditions Albin Michel, mais apprenant que cette maison était en vente [1], j’ai arrêté d’y travailler. Je ne voulais pas tomber n’importe où avec une nouveauté. J’ai donc cherché une nouvelle idée. Cela m’a pris un an avant d’en trouver une. Avec le temps, j’ai de plus en de difficultés à dénicher des sujets intéressants pour mes histoires.
Il y a deux ans, exactement comme je le raconte dans « Blessure d’amour propre », j’avais reçu la visite de deux journalistes qui réalisaient un documentaire sur le Point G. Cela a entraîné une mauvaise humeur de ma part, j’étais franchement embêté et ennuyé : quand est-ce que j’allais casser cette image-là ?
J’étais tellement agacé que j’en ai parlé un ami illustrateur. Il m’a répondu : « Mais voilà, tu le tiens ton sujet. Tu ne dois pas bouder le plaisir d’avoir eu un succès. Tu dois l’accepter. C’est comme cela ! ». Il m’a convaincu.
L’Amour propre » était un livre novateur. Blessure d’amour propre l’a été tout autant. Le thème de l’impuissance a déjà été traité en littérature, par Romain Gary comme par Franz Olivier Giesbert. C’est plus rare en BD.
De l’impuissance ou de l’incontinence ? Le problème est d’autant plus gênant pour un pornographe. Mais ce qui me plait le plus à raconter, ce sont les thématiques qui sont dans l’ère du temps. Et donc pas forcément novatrices. J’avais traité du problème des vieux dans Papy Plouf. Des Executive Women en 1986. Bref, je traite de sujets qui ne me paraissaient pas exister avant. Je suis issu du baby boom, et je vois autour de moi, les malheurs que l’âge provoque à ma génération. Cela peut me toucher. Je ne suis pas un auteur dramatique, mais un auteur drôle. Je crois sincèrement que l’on peut faire rire avec des sujets dramatiques. Tout dépend de la manière dont on les traite.
Effectivement. Dans « Blessure d’amour propre », vous utilisez un ton tonique et drôle alors que le sujet ne l’est pas vraiment. Comment trouvez-vous le juste équilibre.
Je ne sais pas ! En fait, j’ai eu peur tout le temps, à chacune des planches. Ce récit est de l’autofiction et je trouvais très délicat de parler de moi. Bien sûr, le Martin de Blessure d’amour propre n’est pas moi, mais sa personnalité et sa vie contiennent des éléments personnels. Il a fallu trouver le juste équilibre.
Quelles ont été les réactions des femmes face à ce livre ?
Je crois qu’elles ont ri ! Mais avec un rire plus intérieur que les mecs. Je ne suis pas certain que les hommes de mon âge aient rigolé. Cela les trouble sûrement. Les femmes ne m’en parlent pas. On me dit que ce récit est intelligent. Je ne sais pas si c’est drôle. Je préférerai que ce livre soit plus drôle qu’intelligent. À choisir entre l’intelligence, l’impuissance et la drôlerie, je choisirai la drôlerie. La vraie, bien sûr !
Quand Martin devient impuissant, il se libère totalement et est pris malgré lui à un jeu bizarre en créant son propre cabinet pour donner du plaisir aux femmes…
Effectivement. Il pense être libéré de tous ces tourments sexuels et de séduction. Il n’espère qu’une seule chose : pouvoir se remettre à dessiner. Mais il est confronté à un problème éternel : on lui propose de gagner beaucoup d’argent facilement et rapidement.
Vous êtes finalement un auteur rare, et avez publié peu de bandes dessinées. Vous avez participé à l’écriture de scénarios de film, réalisé l’adaptation de « L’Amour Propre » pour le cinéma, écrit un roman et enfin fait du dessin de presse. Quel plaisir avez-vous éprouvé à faire du dessin d’humour ?
Aujourd’hui, j’essaie plutôt de me consacrer à la fiction. J’ai toujours recherché à ne pas m’ennuyer. Chaque fois que l’on me propose quelque chose qui me sort de mon travail et qui m’excite, je ne peux pas m’empêcher d’accepter. Ce n’est sans doute pas très malin.
Mais vous avez écrit un roman, tourné l’adaptation de l’Amour Propre.
Oui. J’ai fait un stage de cinéma aux premières loges !
Est-ce que ces expériences vous ont appris de nouvelles techniques narratives applicables à la BD ?
Je ne pense pas. Les techniques narratives sont différentes. Le roman a été plus facile à faire. Cela arrache moins que le dessin. L’écriture venait facilement. Peut-être est-ce dû à la maîtrise du sujet. C’était une expérience plaisante. Assez étonnamment, je n’en ai plus écrit depuis lors. C’est une contradiction…
Vous ne répondez pas à ma question sur le dessin d’humour. C’est une mauvaise expérience ?
.
Oui. Enfin, non ! Quand on regarde ces dessins avec le recul on s’aperçoit que certains sont bons, d’autres pas terribles du tout. En fait, je me sens avant tout un raconteur d’histoires. J’aime m’installer dans la durée, dans une succession de séquences. Pour la presse, il faut exprimer quelque chose en un seul dessin. Ce n’est pas facile. Quand cela m’arrive, je suis heureux. Cela ne m’est pas arrivé suffisamment souvent pour que je sois fier de cette activité.
Je dois tout à la bande dessinée. C’est là que l’on m’attend. Avec le recul, je me perçois plus comme étant un meilleur scénariste que dessinateur. J’ai déjà une idée pour le prochain album qui sera plus formel au niveau de la narration.
(par Nicolas Anspach)
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Photo : (c) Nicolas Anspach
Illustrations : (c) Martin Veyron & Dargaud.
[1] NDLR : Racheté par les éditions Glénat et publié sous le label « Drugstore ».
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