Urban Comics a publié récemment pour le marché français L’Aliéniste, une BD que vous aviez réalisée en 2007. Pourriez-vous nous en parler ?
Gabriel Bá : L’Aliéniste est une nouvelle écrite par Joaquim Maria Machado de Assis, un des plus célèbres romanciers brésiliens. Cette histoire a pour thème la folie humaine. Très clairement, c’est l’ironie de l’histoire qui nous a plu et puis, nous voulions faire connaître cette histoire, qui est un classique de la littérature brésilienne, à un nouveau public.
Depuis combien de temps baignez-vous dans le monde de la BD ?
Ça doit faire 17 ou 18 ans je pense que nous faisons des Quadrinhos [1] mon frère et moi. Nous avions commencé notre carrière à l’université.
Au Brésil, les enfants apprennent à lire en lisant des bandes dessinées. Nous avons de grands auteurs classiques tels que Mauricio de Sousa, l’auteur de Turma da Mônica qui a permis à des millions de gamins de découvrir le monde du livre. Après, avec l’âge, on s’intéresse à d’autres types de bouquins. Actuellement, ce qui marche auprès des jeunes chez nous ce sont les mangas et les comics américains. En ce qui nous concerne, nous avons aussi beaucoup lu de comics mais aussi de la BD européenne, le Français Moebius et les auteurs italiens Guido Crepax et Milo Manara notamment.
Lisiez-vous aussi les auteurs argentins de BD ?
Étrangement, la BD argentine n’était quasiment pas connue au Brésil et vice-versa. Actuellement, ça change, mais à l’époque, on aurait dit qu’il y avait une sorte de mur invisible qui empêchait les livres de traverser la frontière. Peut-être était-ce dû à la langue car nous, Brésiliens, parlons le portugais, alors qu’en Argentine et ailleurs en Amérique latine, c’est l’espagnol qui est la langue dominante.
Aujourd’hui, avec l’Internet et la mondialisation, les choses commence à changer. Il y a de plus en plus de traductions et puis, les festivals de BD gagnent en popularité chez nous, comme en Argentine, au Pérou et en Bolivie. Mais en ce qui concerne les influences, je crois pouvoir dire sans me tromper qu’elles sont différentes d’un pays à l’autre.
Parmi les différents projets que vous menez actuellement, il y a le polar d’anticipation intitulé Casanova que vous cosignez avec votre frère et d’autres auteurs américains. Pourriez-vous nous expliquer votre organisation de travail sur cette série ?
Dans Casanova, nous travaillons ensemble Fabio et moi mais chacun à tour de rôle. La première histoire fut dessinée entièrement par moi et l’album suivant par mon frère et ainsi de suite.
Qu’est-ce qui caractérise votre style en BD ?
Fabio et moi aimons surtout sortir des sentiers battus en racontant des histoires que l’on ne s’attend pas à lire dans une BD classique. Notre enfance a été fortement marquée par la lecture. Nous dévorions aussi bien des Quadrinhos que des romans ou de la littérature classique, et c’est précisément ce type d’histoire que nous aimons reproduire en bande dessinée. C’est vraiment cela : nous puisons nos influences dans la littérature classique pour les histoires et nous aimons la narration et les techniques graphiques propres à la BD. C’est comme un puzzle, en fait. Nous assemblons le meilleur des deux univers.
Votre première BD en langue française était Daytripper, qui a été publiée chez Urban Comics. Comment est né ce projet ?
Nous vivons à São Paulo. J’étais dans mon bain et de la fenêtre de cette pièce, on peut voir une favela [2] qui est juste à côté de ma maison. Ce jour-là, j’ai réalisé que je pourrais très bien être tué d’une balle perdue. Ma vie s’arrêterait alors comme cela, stupidement, sans aucune raison. J’ai alors commencé à réfléchir au sens de la vie et à l’absence aussi que provoque la perte d’un proche. Quel sens donnons-nous à notre vie ? C’était cela l’idée de départ.
Comment voyez-vous la scène BD au Brésil ?
Aujourd’hui, il y a une scène très dynamique et diversifiée dans notre pays. Une particularité que nous avons chez nous est que beaucoup d’auteurs, même les plus connus, sont en auto-édition, bien qu’il y ait des structures éditoriales. En plus du travail artistique, il y a tout le travail d’édition et de promotion que nous assurons nous-mêmes. Même nous, bien que nous soyons publiés, nous retournons régulièrement dans ce marché parallèle des indépendants afin de produire et faire connaître plus vite certains projets qui nous tiennent à cœur.
Nous adoptons ce circuit court parce qu’il nous permet un contact direct avec notre public et c’est important, car nous gagnons en visibilité et en popularité. Le Brésil est un pays immense et tous nos lecteurs ne sont pas riches pour pouvoir se payer des BD. D’autres vivent dans des régions très reculées. Cela fait qu’il y a de gros problèmes de distribution. Toutes les zones du pays ne sont pas couvertes, soit par manque de moyens, soit par manque d’intérêt de la part des éditeurs. Le circuit court nous aide, grâce à la prolifération des festivals, à toucher ce public oublié.
L’autre grand défi de la BD brésilienne est de sortir des frontières de notre pays afin qu’elle puisse mieux s’exporter et soit reconnue sur le plan international.
Vous faites partie des grands auteurs brésiliens de BD. Vous êtes édité chez vous au Brésil, mais aussi aux USA via Vertigo, au Japon et en Europe francophone grâce à Urban Comics. Comment expliquez-vous un tel succès ?
Le marché US a été notre première cible car il est très vaste et a une renommée mondiale. Nous parlons anglais et nous sommes arrivés à un moment ou il y avait de la demande pour le type de BD que nous proposons. Par exemple, Daytripper a été créé spécialement pour le lectorat américain tandis que l’Aliéniste est inédit là bas. Par la suite, les autres marchés se sont intéressés à nous. C’est comme cela que nous avons eu cette audience internationale.
Quels sont vos prochains projets ?
Nous travaillons actuellement sur une BD qui racontera l’histoire de deux frères jumeaux, mais qui se détestent ! C’est également une adaptation d’un auteur brésilien et ça paraîtra aussi chez Urban Comics.
Voir en ligne : L’Aliéniste sur le site d’Urban Comics
(par Christian MISSIA DIO)
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[1] BD en portugais
[2] Bidonville au Brésil, où la violence y est fréquente.
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