Vous êtes un auteur reconnu dans le monde de la BD, notamment grâce à vos séries Broussaille et Zoo. Toutefois, ces vingt dernières années, vous vous y êtes fait rare car vous vous consacriez à d’autres projets artistiques. Quelle place la BD prend-elle encore dans votre vie, à l’heure actuelle ?
Frank : Mon souhait de départ était de devenir dessinateur de BD. C’est un rêve d’adolescent. Mais par la force des choses et surtout à cause de mes envies artistiques, je me suis laissé entrainer dans des projets de plus en plus éloignés de ce médium.
Pour autant, cette démarche obéissait à une certaine vision, à une certaine conception de la création qui est pour moi au cœur de notre métier. Je me considère chanceux car je l’ai pratiqué avant que ça ne devienne une sorte d’obligation pour les auteurs actuels.
Aujourd’hui, le marché de la BD ne se porte pas bien, même si le lecteur a l’impression du contraire à cause de la pléthore d’albums publiés chaque année.
Du côté des auteurs, il y a plein de signes qui montrent que nous allons vers de gros problèmes. Enfin, les relations entre auteurs et éditeurs sont de plus en plus difficiles, voire exécrables ! En tant qu’auteur, il devient donc important de se diversifier, en exposant à l’occasion de manifestations qui tendent vers les Beaux-arts, comme la BRAFA par exemple.
Finalement, tout cela n’est qu’une question d’étiquette, la BD ou les Beaux-arts. On peut s’inscrire dans un certain contexte mais rester authentique dans sa démarche artistique, sinon cela n’a aucun sens ! Ce sont les autres qui mettent des étiquettes. Et puis, il y a la réalité économique. Il y a de plus en plus de ventes d’originaux. C’est une démarche qui rejoint l’art contemporain, lequel fait les beaux yeux à la BD avec des expos comme "Quelques instants plus tard".
C’était un projet pertinent. Tout le monde a joué le jeu et cela a produit des fruits. Il y a une sorte d’éclatement qui se passe dans ce milieu et cela me plaît ! C’est une démarche que j’ai toujours encouragée à travers ma carrière mais pour autant, j’aime toujours la BD ! D’ailleurs, j’avais hâte d’y revenir. J’ai un Spirou sur le feu, ainsi que d’autres projets.
Vous venez d’évoquer la santé du marché de la BD. Ces derniers mois, la maison Casterman a fait l’actualité suite au rachat de sa maison-mère, Flammarion par Gallimard. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela ne m’inspire rien de bon. Il y a un regroupement généralisé des éditeurs de BD qui deviennent des grands groupes et cela, c’est toujours mauvais ! Pourquoi ? Parce que ces groupes deviennent tellement puissants qu’ils ne peuvent plus avoir qu’une logique financière. Bien sûr, la BD est un marché et c’est important d’avoir une logique financière, mais ne voir que cela est, pour moi, le chemin le plus droit vers la tombe !
La BD, c’est avant tout une relation privilégiée avec un éditeur qui va sentir les choses. Il ne va pas se laisser guider par la loi du marché, il va sélectionner un projet qualitatif et l’accompagner ; il va croire en ce projet, dialoguer, le défendre sur le long terme. Aujourd’hui, tout cela ne se fait plus ou plus assez. Ils nous font croire que c’est toujours comme cela, mais cela n’est pas vrai, car la logique financière est tellement forte que les éditeurs ont démissionné de leur rôle premier et ils ne le voient même pas eux-mêmes !
Dans la profession, les auteurs sont unanimes pour dire qu’ils ne sont plus respectés ! Normalement, nous devrions avoir un partenariat 50/50 avec les éditeurs. Au lieu de cela, nous sommes passés à une relation de gros dominants à esclaves ! Ce n’est pas comme cela que l’on peut bien faire notre métier, désolé ! Tous ceux qui le peuvent vont chercher des solutions ailleurs. Pendant ce temps, les gros éditeurs vont se retrouver avec tous les petits jeunes, qui sont prêts à jouer les esclaves, le temps de quelques titres, pour deux francs six sous. Ils feront cinq pages de BD par jour mais au final, cela donnera quoi ? Je ne suis pas trop sûr que cela va passionner le public, surtout que les jeunes auteurs n’auront pas le temps d’apprendre à dessiner des BD. Ils n’auront pas le temps d’apprendre leur métier de scénariste. Par contre, dans le numérique, il peut se passer des choses parce que c’est une relation beaucoup plus directe avec le public, c’est beaucoup plus vivant. C’est la nouvelle génération. Les éditeurs n’ont pas vu venir le coup et ils ne veulent pas y aller.
Peut-être qu’ils n’y vont pas encore parce que c’est un marché encore en gestation, pas encore rentable.
Oui, mais investir, ce n’est pas demander directement la rentabilité. Investir, c’est développer quelque chose de neuf. Cela, je ne le vois nulle part. Ils disent tous qu’ils investiront le numérique quand cela marchera, mais en attendant, dès qu’une chose ne marche pas, ils reculent. Encore une fois, ce sont des logiques financières et non des logiques de création.
Donc, je pense que la place sera prise par d’autres. Des petits éditeurs, des jeunes, etc. C’est important d’investir dans la jeunesse car c’est elle qui va comprendre comment on peut exploiter tous ces nouveaux outils et comment renouveler la création. Mais ce n’est déjà plus pour moi !
Ce n’est pas un terrain d’expérience pour vous ?
Je ne pense pas. Je ne rejette pas mais je ne suis pas un geek. J’ai toujours été un peu frileux par rapport à l’ordinateur. Je vois bien que mon terrain de jeu, c’est le papier. Mes maîtres sont des classiques comme Rodin. Je peux m’adapter à beaucoup de choses mais je ne vais pas être un artiste de la première vague sur ce terrain-là, ce n’est plus mon boulot. En attendant, ma relation avec les éditeurs est un peu amère, c’est sûr.
Cette année, Spirou fête ses 75 ans. Vous qui avez collaboré au journal des éditions Dupuis, en animant L’Élan et Broussaille, avez-vous une anecdote à nous raconter ?
J’ai une anecdote que j’ai vécue avec André Franquin. Je passais un moment avec lui et je lui parlais des éléphants qu’il savait si bien dessiner, que ce soit dans les albums de Spirou & Fantasio, dans Gaston ou pour les animations du journal. J’étais un vrai fan et je lui disais tout le bien que je pensais de son travail. Pourtant, lui n’était pas content ! Il disait que les trois-quarts des éléphants qu’il dessinait étaient à flanquer à la poubelle. Puis il m’a dit qu’en dessinant les éléphants, il a toujours essayé de retrouver cet éléphant empaillé qui était situé en haut de l’escalier du Muséum des Sciences Naturelles de Bruxelles. Tout de suite, cela m’a parlé car je connaissais bien cet éléphant.
Il faut préciser que Franquin est né à Etterbeek, une commune bruxelloise où Hergé est né également, à deux pas de ce musée. Moi, j’habitais aussi à Etterbeek, de l’autre côté du Muséum. Il y avait là quelque chose qui nous reliait, Franquin et moi. Cet éléphant était le seul éléphant vivant du jardin zoologique de Bruxelles et une fois mort, il fut empaillé, très mal, ce qui l’avait déformé. Pourtant, Franquin m’a confié qu’il adorait cette bête et qu’il avait toujours essayé de reproduire sa forme ! Voilà une confidence qui m’a éclairé sur les éléphants de Franquin (rires) !
C’est quoi cette histoire de Spirou ? Allez-vous refaire aussi un Broussaille ?
Concernant Spirou, le projet est plus que sur les rails car c’est signé avec Dupuis. Cela a pris du temps parce que, d’une part, je voulais bien préparer l’histoire. D’autre part, la négociation avec Dupuis fut longue et pénible, dans la ligne droite de ce que je vous disais précédemment. Mais là, nous sommes prêts. Je me suis associé avec Zidrou qui retravaille le scénario et je suis en train de dessiner les planches en ce moment-même.
C’est donc Zidrou le scénariste ?
En fait, j’écris l’histoire et lui, la retravaille, avec tout son talent de scénariste chevronné. Je voulais vraiment donner toutes ses chances à cet album. Il ne fallait pas de faiblesses sur ce projet qui me tient à cœur. Vous savez, Zidrou est un partenaire formidable !
Cela devrait paraître quand ?
Je n’en sais rien. Ma seule certitude c’est que je n’ai pas envie de m’embourber dans des délais trop longs. Travailler sur Spirou, c’est travailler sur de l’énergie. Franquin était quelqu’un d’énergique - je n’essayerai pas de faire du Franquin, je vous rassure - mais Spirou, c’est la jeunesse, et donc, je ne crois pas que je vais traîner. Mais c’est quand même un projet de 70 pages.
Cet album sera-t-il réalisé en couleurs directes, comme Zoo ?
Non, les couleurs de ce Spirou & Fantasio seront faites numériquement par un coloriste qui m’assistera.
Que retrouverons nous dans ce Spirou & Fantasio par Frank Pé et Zidrou ?
Il y aura des animaux, on ne se refait pas (rires). Mais mon envie de reprendre ce personnage allait de pair avec un défi qui est - et c’est là que je fais mon clin d’œil à Franquin - de toujours animer ce personnage comme un être positif et contemporain. Je veux le placer dans notre monde actuel, en préservant son côté entreprenant. Il peut déprimer mais il reste un héros. J’ai envie de faire de Spirou un personnage crédible, une vraie personne.
Nous vivons une époque de crise. Avec des questions sociales mais aussi environnementales, de développement durable. Ne pensez-vous pas que votre personnage de Broussaille est plus actuel que jamais ?
Je ne sais pas. Je me pose toujours la question. Bien sûr, vu la manière avec laquelle vous le présentez, cela paraît évident, mais en ce qui me concerne, pendant longtemps, j’étais dans une démarche de réaction au monde qui m’entoure, que je jugeais négatif.
Je n’étais pas de bonne humeur. Je le faisais sentir par petites touches. Pousser constamment des coups de gueule, fondamentalement, je ne crois pas que c’est mon rôle. J’ai envie d’être constructif, mon côté positif revient vite. Mais j’ai tellement besoin de dénoncer toutes ces choses scandaleuses...
Est-ce que Broussaille est toujours pertinent, dans son style, pour le public d’aujourd’hui ? Est-ce qu’un môme de 14 ans ou de 17 ans, en 2013, va être sensible à un personnage comme Broussaille ? Je ne sais pas. Pourtant, de Broussaille à Spirou, le fossé n’est pas si large. Et cette crise du monde que je dénonce, je l’inclus totalement dans mon Spirou mais de manière constructive. Ce sera un Spirou bourré d’espoir mais cela passera par quelque chose de très spécial...
Donc, le retour de Broussaille, ce n’est pas pour tout de suite !
Broussaille n’est pas encore sur la table mais il y a un autre projet, qui est aussi une reprise mais qui me correspond bien. Bernard Mahé, de la galerie 9Art, m’a suggéré, voici un an ou deux, que le personnage de Little Nemo de l’auteur américain Winsor McCay était libre de droits et que ce serait chouette que je travaille dessus.
J’ai dit : « Ouais, pourquoi pas ». Mais en replongeant dedans, je me suis rendu compte qu’avec cette thématique du rêve, il y avait moyen de tout traiter ! En m’impliquant dans ce projet, j’ai retrouvé le plaisir que j’avais à mettre de la poésie et une petite touche de surréalisme dans Broussaille. J’ai adoré faire cela et c’est pourquoi Little Nemo est devenu un projet éditorial et d’expositions dans lequel je m’implique complètement.
Chez qui paraitra cette BD ?
On ne sais pas encore. On le fait de notre côté. Bernard Mahé joue au producteur. Une fois que le projet sera arrivé à maturité, nous irons voir les éditeurs. Comme vous pouvez le voir, j’ai deux projets de BD dans lesquels je m’épanouis complètement !
(par Christian MISSIA DIO)
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Dimanche : 10h30 à 13h30
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Le samedi de 11h à 13h puis de 14h à 19h.
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