Pourquoi avoir voulu vous essayer à la bande dessinée érotique voire pornographique ?
D’abord pour gagner ma vie. J’ai débuté dans la BD porno au milieu des années 90, alors que sortaient les premiers albums signés de mon vrai nom et qui ne m’étaient pas très bien payés ! A la même époque, j’ai également beaucoup travaillé pour la publicité ou la communication d’entreprise, pour la littérature jeunesse et pour la presse. Pour le lecteur de BD que je suis, le porno est un genre comme un autre, qui a produit des navets et des chefs-d’oeuvre. À partir du moment où cela ne me posait pas de problème moral, pourquoi ne pas m’y essayer ? Il faut aussi savoir qu’à l’époque, l’Internet n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Aussi, les petits livres de poche que je dessinais pour la collection "Confessions érotiques BD" des éditions Media 1000, vendus dans les gares, passaient totalement inaperçus au lectorat de la BD dite "classique". Si ces petits formats n’étaient pas aujourd’hui réédités chez Dynamite par l’excellent Bernard Joubert sous une forme plus luxueuse, personne ne se souviendrait plus de Bruce Morgan !
Pensez-vous que l’on puisse parler de toutes les thématiques qui concernent le sexe en bande dessinée ou en littérature ?
Question intéressante... Légalement parlant, j’imagine que non, puisqu’il existe des lois réprimant l’apologie des crimes sexuels. Pratiquement, j’ai l’impression que oui. Les écrits du marquis de Sade décrivent par le détail les tortures et assassinats dont sont victimes des enfants.
Adaptés en BD, par Philippe Cavell, ces délires extrêmement choquants sont autorisés à la publication. Plus récemment, le génial Jacobsen a raconté en BD des fantasmes incestueux et sado-masochistes très osés, et Monica et Bea, dans "Les petites vicieuses", ont dessiné les aventures sexuelles parfois très extrêmes de jeunes filles mineures. Il semble donc possible d’évoquer toutes les pratiques sexuelles en BD. A partir de là, les éditeurs et les auteurs prennent leurs responsabilités.
Dans un de mes tout premiers petits formats, une jeune fille, alors qu’elle était violée par son oncle, finissait par en éprouver du plaisir.
Seuls les hypocrites nieront que le viol est le plus répandu des fantasmes féminins, et je n’ai jamais reçu de réactions négatives de mes lectrices (eh oui, j’ai des lectrices !). Néanmoins, je regrette énormément d’avoir dessiné cette scène. Je ne crois pas que la violence ou le porno (en BD, en littérature ou au cinéma) puissent pousser un criminel en puissance à passer à l’acte. Je pense même le contraire : la représentation des fantasmes a un pouvoir de catharsis. Le Japon est à la fois le pays le moins soumis à la censure et celui dont le taux de criminalité est le plus bas. Ceci dit, je n’ai jamais dessiné d’autres viols, et j’ai par la suite pris soin de ne mettre en scène que des héroïnes systématiquement consentantes. De même, mes personnages masculins mettent des préservatifs, ce qui m’a d’ailleurs été reproché par un fan qui m’a accusé d’être "politiquement correct" !
On sent qu’entre « l’institutrice » et « la vicieuse » il y a une montée en puissance vers les pratiques les plus dégradantes. Quel est votre rôle, vous, en tant qu’auteur ? Y a-t-il une limite à ne pas franchir ?
Vous n’êtes pas le premier à parler de "dégradation" pour l’image de la femme à propos de mes ouvrages. Valérie, l’héroïne de L’institutrice et de La vicieuse aime être humiliée et brutalisée : elle est masochiste. Il s’agit d’une perversion que je n’ai pas inventée, et que partagent de très nombreuses personnes. A partir du moment où les pratiques dégradantes auxquelles elle est soumise ne lui sont pas imposées, mais sont souhaitées et demandées explicitement, je ne crois pas que l’auteur que je suis franchit les limites que Sade et d’autres ont franchies. Quant à l’escalade dans le hard au fur et à mesure de ma série "Les instincts pervers", c’est la loi du genre ! Chaque auteur fixe sa propre limite à ne pas franchir, la mienne consiste à ne pas dessiner de pratiques imposées par la force ou le chantage. Pour être honnête, elle consiste aussi à m’auto-censurer dans la représentation des pratiques scatologiques et zoophiles de mon héroïne !
Certains auteurs de BD érotique, comme Mounier, ont fait leur « coming out », pourquoi ne faites pas vous le vôtre ?
J’ai réalisé sous mon vrai nom des BD destinées au grand public, ma première série est même plus spécifiquement destinée aux jeunes. Je n’ai pas envie qu’une gamine ou un gamin, en tapant mon vrai nom sur un moteur de recherche, tombe sur des images pornographiques. Cela ne me paraît pas très difficile à comprendre. Lorsqu’il dessinait "Liz et Beth", Jean Sidobre, l’illustrateur du "Club des Cinq", utilisait le pseudo de G. Lévis. Lorsque sa double identité a été révélée dans la presse, il a été remercié par Hachette. Et puis ça amuse les fans de BD d’essayer de décrypter un pseudo, non ?
J’ai d’ailleurs deux autres pseudos, pour des activités tout-à-fait convenables mais qui n’entrent pas dans le cadre de mes activités habituelles. L’usage d’un ou de plusieurs pseudos sert aussi à éviter la confusion.
Quels sont vos projets dans ce domaine si particulier ?
Je n’en ai aucun de précis, par manque de temps. Mais si je reviens un jour, ce sera dans un format d’album classique (46 planches couleurs), plus facile à vendre à l’étranger selon mon éditeur.
(par Nicolas Anspach)
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Images (c) Bruce Morgan & Dynamite.
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